Ces dernières années s’est fortement développée la pratique des recours malveillants qui n’ont, de toute évidence, pas d’autre objectif que de négocier un retrait de l’autorisation de construire accordée, en contrepartie d’une indemnisation, indépendamment de quelconques considérations liées à la qualité de l’environnement et du cadre de vie du requérant qui, bien souvent, n’est même pas voisin du projet.
C’est pour lutter contre cette dérive et cette instrumentalisation de la Justice administrative que le Gouvernement a adopté le 18 juillet 2013 une Ordonnance relative au contentieux de l’urbanisme [1] qui, tout en cherchant à respecter un équilibre avec le principe d’accès à la Justice et du droit de former un recours garanti par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Constitution, insère dans le Code de l’Urbanisme de nouvelles dispositions législatives qui poursuivent deux objectifs :
– L’encadrement du droit d’exercer un recours.
– L’accélération du traitement des contentieux en matière d’urbanisme devant les Tribunaux.
Définition légale de l’intérêt à agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager
La recevabilité de la contestation d’une décision d’urbanisme reposait jusqu’alors sur un principe jurisprudentiel qui reconnaissait un intérêt à agir à celui qui pouvait voir son cadre de vie modifié du fait du projet.
Désormais, l’intérêt à agir est défini par l’article L.600-1-2 du Code de l’Urbanisme qui dispose qu’une personne (autre qu’une collectivité territoriale ou une association [2]) « n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement, pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire [de réservation d’immeuble à construire]».
Ainsi, l’intérêt à agir ne s’apprécie plus seulement en fonction du voisinage ou de la simple visibilité du projet depuis la propriété du requérant, mais bien par l’appréciation de l’impact puisque les travaux doivent être de nature à affecter directement les conditions d’occupation ou d’utilisation du bien du requérant.
De plus, l’intérêt à agir qui s’appréciait jusqu’alors à la date de l’introduction de la requête auprès du Tribunal, est désormais examiné à la date d’affichage en Mairie de la demande de permis de construire, de démolir ou d’aménager (article L.600-1-3).
Ces dispositions combinées visent très clairement à lutter contre la constitution de sociétés ou des installations qui se feraient alors que le projet de construction est connu, uniquement pour actionner un recours en vue d’obtenir une contrepartie financière sans lien avec un préjudice direct.
Le juge administratif et la réparation du préjudice subi par le constructeur
Le principe de séparation juridictionnelle conduisait à ce que le juge administratif soit seulement compétent pour statuer sur la légalité du permis de construire, de démolir ou d’aménager et que les éventuelles conséquences financières liées à un abus du droit d’ester en Justice relevait de la compétence exclusive du juge judiciaire, ne laissant d’autre choix au constructeur que d’avoir à prendre l’initiative d’engager une action parallèle devant le juge civil.
L’article L.600-7 du Code de l’Urbanisme dispose que « lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts », la demande pouvant être présentée pour la première fois en appel.
Il s’agit d’une véritable révolution puisque le juge administratif se trouve ainsi saisi de la compétence d’avoir à trancher un principe de responsabilité civile entre le requérant et le bénéficiaire de l’autorisation de construire, tout en devant apprécier l’existence de la faute que constituerait l’existence d’un recours abusif.
L’enregistrement des transactions
On le sait le moteur du recours malveillant, c’est le gain financier négocié en contrepartie du retrait du recours dans le cadre d’un protocole transactionnel sous seing privé dont l’une des clauses garantissait la confidentialité des parties qui ne souhaitent ni être identifiées, ni avoir à se justifier des montants des sommes perçues.
Le nouvel article L.600-8 du Code de l’Urbanisme dispose désormais que « toute transaction par laquelle une personne ayant demandé au juge administratif l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature doit être enregistré conformément à l’article 635 du Code Général des Impôts ».
A défaut d’enregistrement de la transaction, les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis peuvent être sujettes à remboursement dans un délai de cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature.
Ce mécanisme va certainement constituer un frein à l’engagement des recours malveillants car les flux économiques générés par de telles transactions et leurs bénéficiaires seront désormais clairement identifiés par l’administration fiscale.
Des dispositions visant parallèlement à accélérer les procédures devant la Juridiction administrative
Indiscutablement, l’encombrement de la juridiction administrative est un élément favorable à l’accroissement des recours malveillants dans la mesure où c’est bien le retardement de l’issue du procès administratif, difficilement compatible avec la pression économique subie par le constructeur, qui le pousse à devoir, malgré lui, privilégier l’hypothèse d’une transaction financière en contrepartie d’un désistement plutôt que d’attendre l’issue de la procédure.
Dans ce sens, l’Ordonnance du 18 juillet 2013 élargit, à travers les articles L.600-5 et L.600-5-1 du Code de l’Urbanisme, l’office du Juge qui peut soit prononcer une annulation partielle, du permis de construire ou d’aménager seulement « en tant que », ou même faire le choix d’inviter le constructeur à régulariser les illégalités mineures avant qu’il soit statué sur le recours.
Ces dispositions ont été complétées par un Décret du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme qui insère deux mesures nouvelles destinées à accélérer le traitement des contentieux de l’urbanisme devant les Tribunaux Administratifs :
– La possibilité pour le Juge de cristalliser les termes du débat juridique en fixant une date au-delà de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens d’illégalité nouveaux (article R.600-4 du Code de l’Urbanisme) ;
– La suppression de la voie de l’appel pour les recours introduits contre les permis de construire, les permis de démolir un bâtiment à usage d’habitation ou les permis d’aménager un lotissement entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018, dans les Communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants ou existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logement dont la liste est définie par le Décret du 10 mai 2013 pris pour l’application de l’article 232 du Code Général des Impôts [3], les jugements des Tribunaux Administratifs étant seulement susceptibles de pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat (article R.811-1-1 du Code de Justice Administrative).
L’ensemble de ces dispositions devrait donc conduire à limiter les recours malveillants à l’encontre des autorisations d’urbanisme, sans pour autant empêcher la mise en œuvre des recours légitimes des voisins immédiats.