Dans un arrêt du 14 octobre 2009, le Conseil d’Etat vient préciser que le principe d’égalité n’implique pas que des abonnés à un service public se trouvant dans des situations différentes soient soumis à des tarifs différents.
CONSEIL D’ETAT, 14 OCTOBRE 2009, COMMUNE DE SAINT JEAN D’AULPS
Dans un arrêt en date du 14 octobre 2009, Commune de Saint-Jean-d’Aulps, le Conseil d’Etat vient préciser que le principe d’égalité n’implique pas que des abonnés à un service public se trouvant dans des situations différentes soient soumis à des tarifs différents.
Décidément, la tarification des services de l’eau potable et de l’assainissement ne cesse de générer du contentieux, tant devant la Juridiction civile qu’administrative.
Il est vrai que la complexité des factures adressées à l’usager ne manque pas de susciter méfiance et interrogation.
Pourtant, le législateur a édicté depuis 1992 les principes applicables en matière de tarification du service d’eau potable.
En effet, aux termes de l’article 13 II de la Loi du 3 janvier 1992 : « Dans le délai de deux ans à compter de la publication de la présente Loi, toute facture d’eau comprendra un montant calculé en fonction du volume réellement consommé par l’abonné à un service de distribution d’eau et pourra, en outre, comprendre un montant calculé indépendamment de ce volume compte tenu des charges fixes du service et des caractéristiques du branchement ».
Ce principe de tarification a été confirmé par la Loi du 30 décembre 2006 n° 2006-1772, sur l’eau et les milieux aquatiques.
Il repose sur deux éléments : un montant proportionnel au volume d’eau réellement consommé par l’abonné et un montant indépendant de ce volume, la partie fixe qui est fonction des charges fixes du service et des caractéristiques du branchement.
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’un pourvoi en cassation contre un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de LYON ( CAA LYON 9-11-2006 : n° 02LY01859) qui avait enjoint à la Commune de Saint-Jean-d’Aulps d’abroger l’article 15 du règlement du service d’eau potable fixant la tarification du service, la Cour ayant en effet confirmé le jugement rendu par le Tribunal Administratif de GRENOBLE le 4 juillet 2002.
Le règlement de service prévoyait en effet une tarification comprenant d’une part, un abonnement de 300 francs HT (45,73 €) par unité d’habitation et d’autre part, un tarif HT par m³ d’eau prélevé s’élevant à 4 francs (0,61 €) jusqu’à 30 m³, à 1 franc (0,15 €) de 30 à 50 m³, et à 4 francs (0,61 €) au-delà de cette limite.
Sur pourvoi de la Commune, le Conseil d’Etat annule le jugement dont appel, rappelant «qu’aucune des dispositions (Loi du 15 janvier 1992) n’oblige les assemblées délibérantes des collectivités publiques ou établissements publics dont relève le service d’eau à instituer un tarif uniforme par m³ prélevé ; qu’elles peuvent légalement instituer un tarif dégressif ou progressif, en fonction des tranches de consommation ; que l’instauration de tels tarifs différenciés, dès lors qu’ils s’appliquent sans distinction à tous les abonnés, n’a pas, par elle-même, pour effet de créer des catégories d’usagers définies par des volumes d’eau consommée différentes ».
Bien mieux, le Conseil d’Etat énonce que « le principe d’égalité n’implique pas que des abonnés à un service public se trouvant dans des situations différentes soient soumis à des tarifs différents ».
Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de juger que les dispositions de l’article 13 de la Loi précitée n’obligent pas l’institution d’un tarif uniforme par m³ prélevé, et qu’il est donc légal d’instituer un tarif dégressif ou progressif en fonction des tranches de consommation (CE 25-06-2003 : n° 237305, Commune de Contamines-Montjoie ; CE 31-07-2009 :
n° 303876, Société Les Sables d’or). Dans cet arrêt, le Juge administratif avait en effet considéré la légalité d’une part fixe calculée en fonction du nombre de logements desservis, cette disposition étant d’ailleurs reprise par la Loi du 30 décembre 2006.
L’orientation du législateur confirmée dans la Loi du 30 décembre 2006 est en effet de retenir une tarification incitant à une utilisation plus économe de l’eau.
Dans l’arrêt commenté, le Juge a relevé que l’instauration de tarifs différenciés par tranche de consommation ne créait pas des catégories distinctes d’usagers, puisque ces tarifs sont applicables à tous les abonnés qui sont maître de leur consommation.
Il n’y a donc dès lors aucune discrimination tarifaire entre les usagers du service public.
Les requérants contestaient en effet la prise en compte du nombre de logements desservis par le branchement. Le Conseil d’Etat admet que des parts fixes clairement distinctes pour les abonnements individuels et collectifs soient instituées sans qu’il y ait rupture d’égalité au titre d’une différence de situation appréciable. Le tarif litigieux conduisait à appliquer aux abonnés dont la consommation regroupe celle de plusieurs unités d’habitation un prix au m³ d’eau consommée plus élevé que celui qui est appliqué aux autres abonnés.
Le Conseil d’Etat rappelle que « ni la loi du 3 janvier 1992 ni aucune autre disposition n’imposaient que fussent arrêtées des dispositions spécifiques permettant, en tenant compte des caractéristiques particulières des abonnés dont la consommation regroupe celles de plusieurs unités d’habitation, d’éviter que les occupants de celles-ci ne supportent des tarifs plus élevés ».
Enfin, le Conseil d’Etat avait déjà admis qu’une Commune puisse prendre en considération comme caractéristiques du branchement le nombre d’appartements desservis et leur mode d’occupation, ces deux éléments ayant une incidence sur l’importance des besoins en eau d’un immeuble collectif, indépendamment de son régime de propriété.
Le Juge administratif valide ainsi l’institution d’une partie fixe calculée en fonction du nombre des locaux desservis par un même branchement d’immeuble collectif, qu’il soit ou non en copropriété.
Il convient cependant d’attirer l’attention sur les nouvelles dispositions introduites par la Loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui a posé le principe d’un plafonnement de la partie fixe de la facture d’eau pour l’ensemble des Communes, en application des dispositions de l’article L. 2224-12-4-1 alinéas 1 et 2 du Code Général des Collectivités Territoriales (sauf pour les Communes touristiques).
Le montant de la partie fixe ne peut ainsi excéder un plafond défini par l’arrêté du 6 août 2007, l’arrêté fixant ici un montant maximal de la part fixe de 40 % du coût du service pour une consommation de 120 m³ par logement desservi, et pour une durée de 12 mois tant pour l’eau que pour l’assainissement, ce plafond étant porté à 50 % pour les Communes rurales.
Il n’en demeure pas moins que ce dispositif, censé clarifier la situation applicable aux factures d’eau (et d’assainissement) et transposé au Droit français des directives européennes, suscite des critiques particulièrement dans les Communes de montagne où le nombre d’abonnés peut être supérieur au nombre d’habitants.
Nul doute que la tarification des services de l’eau potable et de l’assainissementcontinuera à susciter d’importants contentieux, malgré les tentative de la Haute Juridiction pour préciser les règles de calcul et réaffirmer le principe d’égalité entre les usagers.
Sandrine Fiat,
Avocat à Grenoble