CONSEIL D’ETAT, 4 août 2021, Association les amis de la Terre France et a., N° 4284091
Cette décision du Conseil d’Etat du 4 août 2021 s’inscrit dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques, alors que le GIEC vient de publier récemment son dernier rapport tirant des constats alarmants sur la situation climatique partout dans le monde et appelant à des efforts colossaux et urgents.2
Elle intervient à la suite d’une première décision du Conseil d’Etat rendue le 12 juillet 2017 qui, saisi par l’Association Les amis de la Terre, avait enjoint au gouvernement de mettre en œuvre des plans pour réduire dans le délai le plus court possible les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) dans 12 zones en France, afin de se conformer aux exigences de la directive européenne sur la qualité de l’air3 qui fixe des valeurs limites à ne pas dépasser pour ces concentrations, directive transposée par ailleurs dans le code de l’environnement.
L’article R. 221-1 du code de l’environnement reprend les valeurs limites à ne pas dépasser prévues à l’annexe XI de la directive européenne précitée et les articles L. 222-4 et suivants du même code transposent les dispositions de la directive européenne s’agissant des plans et mesures à mettre en œuvre pour ramener la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L.221-1.
Le 10 juillet 2020 soit quasiment trois ans après sa première décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat, saisi par l’Association Les amis de la Terre France, avait constaté dans une deuxième décision que les valeurs limites étaient toujours dépassées dans plusieurs zones en France et que l’Etat n’avait pas pris toutes les mesures permettant d’y remédier et ainsi d’assurer l’exécution de sa première décision.
Parmi ces mesures, le Conseil d’Etat avait évoqué les « feuilles de route » rendues publiques le 13 avril 2018 par le Gouvernement et transmises à la Commission européenne le 19 avril 2018. Si ces « feuilles de route » avaient précisé de façon plus ou moins détaillée, pour chaque zone concernée, une liste d’actions concrètes à mener, destinées à réduire les émissions de polluants, leur échéancier de mise en œuvre et les moyens à mobiliser, elles ne comportaient, à l’instar des autres mesures mises en avant par le Gouvernement, aucune estimation de l’amélioration de la qualité de l’air ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de ces objectifs contrairement aux exigences posées par la directive européenne et le code de l’environnement. D’autres retards ou lacunes dans l’exécution de la décision du 12 juillet 2017 avaient également été constatées par le Conseil d’Etat.
A cet effet, la Haute juridiction avait prononcé, le 10 juillet 2020, une astreinte à l’encontre de l’Etat d’un montant de 10 millions d’euros par semestre de retard dans l’exécution de la décision du 12 juillet 2017.
Toutefois, depuis cette seconde décision du 10 juillet 2020, si des mesures ont été prises par le Gouvernement, elles ne sont toujours pas suffisantes pour le Conseil d’Etat. Ce dernier, saisi pour la troisième fois par l’Association les amis de la Terre France, adopte un positionnement objectivement fondé sur des données scientifiques.
Ainsi, il prend soin d’évaluer concrètement l’exécution des décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020, notamment en appréciant l’évolution des concentrations en polluant relevées dans les zones par rapport aux données qui étaient disponibles lors de la décision du 10 juillet 2020, en examinant la persistance du dépassement des valeurs limites fixées par le code de l’environnement à la date de la présente décision, soit le 4 août 2021.
En défense, l’Etat fait valoir que différentes mesures destinées à favoriser la conversion du parc automobile national vers des véhicules moins polluants ont été adoptées mais également l’interdiction de l’installation de nouvelles chaudières à fioul ou à charbon à compter du 1er janvier 2022, ainsi que la conduite de plusieurs actions portant sur les transports terrestres et maritimes et sur l’amélioration de l’habitat dans le cadre du plan de relance adopté dans le contexte de crise sanitaire.
Cependant, le Conseil d’Etat juge que ni l’ampleur des effets de ces mesures ni leur calendrier ne sont à ce stade précisés et qu’il résulte de l’instruction qu’aucun nouveau plan de protection de l’atmosphère n’a été adopté ou révisé depuis la décision du 10 juillet 2020. Le Conseil d’Etat décide qu’eu égard à la durée de la période de dépassement des valeurs limites dans les zones concernées, il y a lieu de liquider l’astreinte ainsi prononcée par la décision du 10 juillet 2020 pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021 inclus, ni majorée, ni minorée.
L’Etat est donc condamné à verser la somme de 10 millions d’euros à répartir, afin d’éviter un enrichissement indu, entre l’association requérante et d’autres organismes agissants dans la lutte contre la pollution atmosphérique et l’amélioration de la qualité de l’air : 100 000 euros à l’Association Les amis de la Terre France, 3,3 millions d’euros à l’ADEME, 2,5 millions d’euros au CEREMA, 2 millions d’euros à l’ANSES, 1 million d’euros à l’INERIS, 350 000 euros à Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes chacune et 200 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud chacune.
Il est prévu que le Conseil d’Etat réexamine début 2022 les actions du Gouvernement cette fois pour la période de juillet 2021 à janvier 2022. Il pourra à nouveau condamner l’Etat à une nouvelle astreinte, éventuellement majorée ou minorée, si les mesures qu’il a mis en œuvre ne sont toujours pas suffisantes.
2 Sixth Assessment Report (ipcc.ch)
3 Directive n°2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe