L’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat en date du 30 décembre 2014Société Armor SNC rendu par la Haute Juridiction administrative le 30 décembre 2014 est venu préciser les conditions d’admission de la candidature d’une personne publique à un contrat de la commande publique. Une telle candidature est, à présent, explicitement conditionnée par la démonstration d’un intérêt public, notion dont le contenu est, en outre, détaillé pour la première fois par les Juges du Palais Royal.
Le Département de la Vendée a lancé en 2006 une procédure de passation d’un marché public portant sur le drainage de l’estuaire du Lay.
Trois candidats ont présenté des offres dont, d’une part, la société auteur du pourvoi et candidat évincé, la société Armor SNC, et, d’autre part, le Département de la Charente-Maritime in fine déclaré attributaire.
La société évincée a alors saisi le Tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation qui a fait l’objet d’un jugement de rejet le 9 avril 2010 confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes rendu le 4 novembre 2011.
Devant les juges du fond, la société évincée développait une argumentation au visa de l’article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales en estimant que le Département était tenu de justifier d’un intérêt public Départemental pour présenter une offre et qu’ainsi, l’offre ayant été présentée pour une prestation hors des limites Départementales, sa candidature devait être rejetée.
Saisi du litige, le Conseil d’Etat a, quant à lui, annulé l’arrêt de la Juridiction d’appel en considérant qu’elle avait commis une erreur de droit « en ne recherchant pas, pour écarter le moyen tiré de ce que le Département de la Charente-Maritime ne pouvait légalement déposer une offre dans le cadre d’un marché public exécuté en dehors de ses limites territoriales sans se prévaloir d’un intérêt public local, si la candidature de ce Département constituait le prolongement de l’une de ses missions service public ».
A l’appui de son raisonnement, la Haute Juridiction administrative a proposé une analyse pédagogique et en deux temps, d’une part, sur le principe de la candidature d’une collectivité territoriale à un contrat de la commande publique et, d’autre part, sur les modalités de cette candidature.
Ainsi et tout d’abord, pour être admise dans son principe, le Conseil d’Etat précise qu’une collectivité publique doit justifier que cette candidature répond un intérêt public c’est-à-dire qu’elle constitue le prolongement des missions de service public dont elle à la charge.
Pour ce faire, la Haute Juridiction rappelle « qu’hormis celles qui leur sont confiées pour le compte de l’Etat, les compétences dont disposent les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération s’exercent en vue de satisfaire un intérêt public local ».
Partant, sans revenir sur sa jurisprudence reconnaissant la possibilité d’une candidature d’une personne publique à un marché public (CE, avis, 8 novembre 2000, Sté Jean Louis Bernard consultants, n° 222208), le Conseil d’Etat en affine les conditions et écarte, ce faisant, le risque d’une banalisation (au sens doctrinal) de la candidature d’une personne publique à l’attribution d’un marché public.
En effet, le Conseil d’Etat considère « que si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c’est à dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge ».
Mais le Conseil d’Etat va plus loin puisqu’il tire occasion de sa décision pour préciser la notion d’intérêt public en apportant des exemples – non exhaustifs tel que le révèle l’utilisation de l’adverbe « notamment » – de « prolongement des missions de service public dont la collectivité à la charge » et dont il convient de relever qu’ils sont des exemples susceptibles de justifier une candidature d’une collectivité hors de ses limites territoriales :
« Ils [les collectivités ou leurs établissements] ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c’est à dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de cette mission ».
Par-là-même, une collectivité publique est dorénavant clairement autorisée à se porter candidate à l’attribution d’un marché public, y compris pour une intervention hors de ses limites territoriales, dans l’hypothèse où elle justifierait notamment de la nécessité d’amortir des équipements pour lesquels elle a investi, mais également (et, semble-t-il, plus simplement) dans l’hypothèse où elle justifierait d’un objectif de valorisation des moyens dont elle dispose.
Ces justifications tenant à une volonté de rationalisation des coûts sont bien évidemment conditionnées par la capacité de la collectivité publique à proposer de telles interventions sans préjudicier l’exercice de ses propres missions.
Au stade du principe de sa participation, les conditions de la candidature d’une personne publique apparaissent donc, en réalité, davantage protectrices de la collectivité publique candidate (de ses « denier » et de ses « missions ») que des personnes privées concurrentes et de leur liberté du commerce et de l’industrie.
En effet, ce n’est que dans le deuxième temps de son analyse que le Conseil d’Etat rappelle « qu’une fois admise dans son principe, cette candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence ».
Aussi, le Conseil d’Etat s’attache ensuite au contrôle des modalités de cette candidature dans la lignée de ses précédentes jurisprudences qui interdisaient déjà que l’intervention d’une personne publique sur un marché concurrentiel puisse fausser les conditions de la concurrence (Conseil d’État, 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 275531).
Au Conseil d’Etat de rappeler « qu’en particulier, le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié ; que ces règles s’appliquent enfin sans préjudice des coopérations que les personnes publiques peuvent organiser entre elles, dans le cadre de relations distinctes de celles d’opérateurs intervenant sur un marché concurrentiel ».
L’avis du 8 novembre 2000, Sté Jean Louis Bernard consultants (n° 222208), comportait déjà de telles indications sur les modalités de détermination de l’offre de prix déposée par une personne publique.
Le Conseil d’Etat rappelle ici qu’une collectivité publique ne pourrait bénéficier, sans rompre les règles de la concurrence, des avantages qu’elle tire de sa qualité de personne publique tels que, par exemple, des avantages de nature fiscale ou bien encore tenant aux moyens humains et/ou matériels dont elle dispose.
Afin d’éviter d’en faire un vœu pieux, la jurisprudence rappelle, comme elle l’avait déjà fait, que la collectivité pourrait être amenée, « si nécessaire », à en justifier « par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié ».
A ce stade, et à l’inverse de la phase d’admission du principe de sa candidature, la collectivité publique devra donc justifier, au contraire, de la banalité de son offre ou, dit autrement, de l’absence d’avantage procuré par sa nature ontologiquement exorbitante du droit commun.
De manière plus pragmatique, une telle jurisprudence suppose, pour garantir la sécurité juridique de l’attribution d’un marché public à une personne publique, que la collectivité candidate procède, en amont, à un exercice comptable parfois complexe pour la détermination du prix de son offre.
Aussi – et il s’agit là, en revanche, d’un ajout par rapport à l’avis rendu en 2000 par la Haute Juridiction -, le Conseil d’Etat a pris le soin d’écarter explicitement du champ de ses règles les coopérations entre personnes publiques « dans le cadre de relations distinctes de celles d’opérateurs intervenants sur un marché concurrentiel », terminologie dont il conviendra vraisemblablement, à l’avenir, de préciser le contenu et le périmètre qui ne semble pas limité aux seules hypothèses de coopération intercommunale.