Le Conseil d’Etat, le Préfet et la mosquée de Fréjus : Qui s’y frotte s’y pique…
L’affaire de la mosquée de Fréjus devient tristement célèbre.
Sans faire de cas du fond du dossier, cette affaire interpelle, au plan du droit public, quant à l’accueil réservé par les autorités administratives aux décisions rendues par le Juge Administratif en matière de référé.
Ce n’est en effet pas moins de six interventions du Juge de l’urgence que l’Association El Fath devait rechercher pour voir enfin – et encore à titre provisoire – son projet de construction d’une mosquée à Fréjus s’ouvrir au public.
Le Juge des référés était déjà intervenu au stade de la construction.
Alors qu’elle était titulaire d’un permis de construire depuis 2011, un arrêté du Maire nouvellement élu venait brutalement interrompre les travaux de l’Association le 17 novembre 2014 ; le 19 décembre 2014, le Juge des référés suspendait la décision et permettait finalement l’achèvement des travaux.
L’étape de l’ouverture de l’établissement au public devait le rappeler à de nombreuses reprises.
A la rentrée 2015, l’Association se voyait en effet, en dépit d’un avis favorable de la sous-commission départementale de sécurité, refuser l’autorisation d’ouverture de l’établissement au public par le Maire.
Première intervention du Juge des référés : par une ordonnance en date du 17 septembre 1015, le Tribunal Administratif de Toulon suspendait cette décision, au moins pour la célébration de l’Aïd-el-Kebir, et enjoignait au Maire de procéder au réexamen de la demande d’ouverture dans un délai de quinze jours (TA Toulon Ord., 17 septembre 2015, n°1503276).
A défaut d’exécution, l’Association saisissait à nouveau le Juge de l’urgence ; et le Juge de première Instance de conclure, au titre de cette deuxième intervention, au rejet de la demande pour défaut d’urgence au sens de l’Article L. 521-2 du Code de Justice Administrative (TA Toulon Ord., 19 octobre 2015, n°1503606).
Le Conseil d’Etat, Juge d’appel et troisième Juge des référés saisi, infirmait cette décision par une ordonnance du 9 novembre 2015, et enjoignait au Maire d’accorder l’autorisation d’ouverture de la mosquée à titre provisoire, dans un délai de huit jours sous astreinte de 500 euros par jour de retard (CE Ord., 9 novembre 2015, n°394333).
La résistance du Maire contraignait le Juge des référés à une quatrième intervention, pour liquider l’astreinte le 3 décembre 2015, à hauteur de 6.500 euros (CE Ord., 3 décembre 2015, n°394333).
Parallèlement, l’Association avait également saisi le Préfet du Département afin qu’il mette en demeure le Maire d’autoriser l’ouverture qu’elle peinait à obtenir en justice.
Alors qu’il avait procédé à ladite mise en demeure, le Préfet du Var refusait finalement d’y donner suite.
Cinquième intervention du Juge des référés, et second refus du Tribunal Administratif de Toulon : la demande tendant à ce qu’il soit enjoint au Préfet de se substituer au Maire aux fins d’autoriser l’ouverture de la mosquée était rejetée (TA Toulon Ord., 24 décembre 2015, n°1504298).
C’est en cet état de l’affaire que le Conseil d’Etat rendait l’ordonnance du 19 janvier 2016, sixième épisode, donc, des référés pour l’ouverture de l’établissement.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’« il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions juridictionnelles ».
On devine l’agacement sous le langage juridique lorsque la Haute Juridiction se contraint de devoir rappeler que « les décisions du juge des référés sont exécutoires et, en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice, obligatoires ».
A ce titre, les obligations qui découlent de l’exécution d’une ordonnance de référé doivent être regardées comme des actes qui « sont prescrits par la Loi » au sens de l’Article L. 2122-34 du Code Général des Collectivités Territoriales.
Or, ces dispositions aménagent au profit du Préfet un pouvoir de substitution au Maire, lorsque ce dernier néglige ou refuse de prendre ces actes obligatoires, en tant qu’agent de l’Etat.
Ayant rappelé que la compétence en matière d’autorisation d’ouverture d’un établissement recevant du public s’exerce justement au nom de l’Etat, le Conseil d’Etat en déduit que le Préfet « peut recourir aux pouvoirs qu’il tient de l’Article L. 2122-34 du CGCT afin de prendre, en lieu et place du Maire qui refuserait ou négligerait de le faire, les mesures qu’appelle nécessairement l’exécution d’une décision juridictionnelle ».
Peut-il, ou doit-il le faire ?
Rappelons que l’Article L. 2122-34 du CGCT dispose que « le représentant de l’Etat dans le Département peut » procéder d’office aux mesures que le Maire aurait négligé de mettre en œuvre au nom de l’Etat.
Le verbe « pouvoir » laisserait supposer une compétence discrétionnaire ; l’utilisation du « peut » tend en effet habituellement à faire conclure le Conseil d’Etat au rejet d’une compétence liée (voir par exemple, CE, 10 février 2016, Société TOTAL, n°361179 en matière d’impôts ; CE, 27 juillet 2015, Monsieur A.B., n°373339 en matière de titre de séjour).
Au cas présent, le Conseil d’Etat entend revêtir le pouvoir de substitution du Préfet d’une dimension obligatoire.
Dès lors qu’il devait permettre de faire respecter les décisions juridictionnelles, le Préfet ne pouvait s’abstenir de faire usage du pouvoir qu’il tient des dispositions précitées sans porter atteinte au droit à un recours effectif.
C’est « dans ces conditions » que le refus du Préfet est sanctionné, et c’est ce seul contexte qui apparaît devoir justifier que son abstention soit illégale ; l’intervention du Préfet en substitution du Maire défaillant devrait ainsi être regardée comme obligatoire s’agissant des mesures permettant d’assurer l’exécution des décisions de justice, et comme discrétionnaire par ailleurs.
Le Conseil d’Etat refuse en tout cas de laisser le Préfet libre d’agir s’agissant du respect des décisions juridictionnelles.
En s’abstenant délibérément d’exécuter les ordonnances rendues, le Maire défiait frontalement l’autorité du Juge et décrédibilisait directement l’office du Juge des référés ; le Préfet ne pouvait s’abstenir de laver l’affront, sans contribuer lui-même au discrédit de la Juridiction.
Il était dès lors enjoint au Préfet du Var de faire usage de ses pouvoirs dans un délai de 72 heures.
Par un arrêté du 21 janvier 2016, le Préfet du Var s’est finalement exécuté ; l’honneur est donc sauf.
Reste que l’ouverture de la mosquée n’est prononcée qu’à titre provisoire, conformément aux limites que la Loi impose au Juge du référé pour préserver l’office du Juge du fond.
Assurément, l’affaire de la mosquée de Fréjus n’a donc pas clos son dernier chapitre administratif, et gageons que la Haute Juridiction saura veiller à tout nouvel affront…
(CE Ord., 19 janvier 2016, Association El Fath, n°396003)