La participation d’un conseil municipal au vote d’une délibération à laquelle il est intéressé vicie-t-elle automatiquement la délibération litigieuse ? Non répond le Conseil d’Etat dans un arrêt du 12 octobre 2016.
Aux termes de l’article L 2131-11 du Code Général des Collectivités Territoriales :
« sont illégales les délibérations auxquelles ont pris par un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ».
Dans cette affaire, une Commune avait approuvé son nouveau plan local d’urbanisme, lequel avait notamment pour effet d’autoriser le déplacement et l’extension d’une grande surface.
Un opposant au projet avait introduit un recours devant le Tribunal Administratif pour obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de la délibération affirmant qu’une conseillère municipale n’était autre que l’épouse du gérant de la grande surface et qu’elle avait participé au vote de la délibération et aux débats ainsi qu’à l’instruction du projet.
Son recours est rejeté.
Le Conseil d’Etat profite de cette décision pour affirmer une jurisprudence déjà établie :
« La participation au vote permettant l’adoption d’une délibération d’un conseiller municipal intéressé à l’affaire qui fait l’objet de cette délibération, c’est-à-dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la Commune est de nature à entraîner l’illégalité ; de même sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédent l’adoption d’une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d’une participation à son vote si le conseiller municipal intéressé était en mesure d’exercer une influence sur la délibération ; que cependant, s’agissant d’une délibération déterminant des prévisions et règles d’urbanisme applicable dans l’ensemble d’une Commune, la circonstance que le conseiller municipal intéressé au classement d’une parcelle ait participé aux travaux préparatoires et aux débats précédents son adoption ou son vote n’est de nature à entraîner son illégalité que s’il ressort des pièces du dossier que, du fait de l’influence que ce conseiller a exercé, la délibération prend en compte son intérêt personnel ».
Ainsi, pour qu’une délibération approuvant par exemple un plan local d’urbanisme puisse être considérée comme entachée d’illégalité au regard de son vote par un élu, intéressé, il faut que l’intérêt de l’élu soit distinct de celui de la généralité des habitants et qu’il est exercé une influence effective sur la délibération.
Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la Jurisprudence du Conseil d’Etat qui avait déjà rappelé que l’intérêt à l’affaire existe dès lors qu’il ne se confond pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la Commune (Conseil d’Etat, 16 décembre 1994, requête n°145370).
La simple présence du conseiller municipal ne suffit pas à remettre en cause la légalité des débats au sein du Conseil Municipal, le juge administratif vérifiant si la participation de l’élu a été de nature à lui permettre d’exercer une influence sur le résultat du vote.
Le Juge Administratif opère une véritable appréciation in concreto vérifiant, d’une part, que l’intérêt personnel de l’élu est distinct de celui de la généralité des habitants, d’autre part, que l’élu a bien eu une influence effective sur la délibération.
C’est ainsi qu’une délibération sera illégale lorsqu’un conseiller municipal a pris une part importante aux débats et a participé au vote de la délibération pourtant adoptée par 14 voix contre 13 (Conseil d’Etat, 27 juin 1997, requête n°122044).
Mais également, lorsque même quand l’élu ne prend pas part au vote, il s’avère que sa participation n’a pas été sans influence sur le résultat du vote pourtant acquis à l’unanimité (Conseil d’Etat, 9 juillet 2003, requête n° 248244).
En l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré que la délibération n’était pas nulle dans la mesure où la conseillère municipale n’avait pas joué un rôle actif dans les débats et n’avait pas exercé une influence effective sur la délibération.
La Haute Juridiction vérifie ainsi que le conseiller municipal a exercé une influence effective sur la délibération prise par le conseil municipal.
Reste que les délibérations prises en matière d’approbation d’un plan local d’urbanisme peuvent poser, de manière fréquente, la question de la participation de l’élu et la détermination de savoir si l’élu est intéressé et s’il est de nature à avoir influencer la décision.
Plusieurs conseillers municipaux au sein d’un même conseil municipal peuvent être, en effet, dans ce cas.
La question se pose, dès lors, de la validité des délibérations du conseil municipal au regard du quorum puisque la majorité des membres doit être effectivement physiquement présente.
La solution alors, si le quorum n’est pas atteint, plusieurs conseillers municipaux ne souhaitant pas participer au vote ni être présents lors de l’adoption de la délibération approuvant le plan local d’urbanisme au regard du risque « de conflit d’intérêt », de lever la séance et de provoquer une seconde réunion avec un délai d’au moins trois jours francs à laquelle aucune condition de quorum ne sera lors exigée.
Elus, ne vous réjouissez cependant pas trop vite.
Si le Juge Administratif opère une appréciation concrète et vérifie, au cas par cas, que l’intérêt personnel de l’élu est bien distinct de celui de la généralité des habitants, ainsi que son influence effective sur la délibération, cette approche pragmatique n’est pas partagée par le Juge Pénal.
Le délai de prise illégale d’intérêt défini par l’article 432-12 du Code Pénal réprime le fait « par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public de prendre, recevoir ou conserver directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. »
Il est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende.
Des dispositions dérogatoires existent pour les communes de moins de 3.500 habitants afin de prendre en considération les spécificités des petites communes souvent rurales.
Pour que le délit soit constitué, il n’est pas nécessaire que l’intérêt pris par l’auteur soit en contradiction avec l’intérêt de la collectivité ni que l’auteur n’ait un quelconque bénéfice de l’opération prohibée ou que la collectivité ait souffert d’un quelconque préjudice.
Si les Juridictions Pénales jugent également au cas par cas les faits qui leur sont soumis, a déjà été jugé coupable le conseiller municipal qui avait participé à la délibération adoptant le plan d’occupation des sols ayant conduit à classer en zone constructible des terres lui appartenant classées auparavant en zone non constructible.
Dès lors, on a tendance à conseiller aux élus de faire preuve de prudence et, pour un élu susceptible d’être qualifié d’élu intéressé, même de manière indirecte à une délibération de s’abstenir de participer aux votes, aux débats et/ou à l’instruction du dossier.