CE, 5 octobre 2016, n°396143
La commune de Colombes avait consenti à une association d’architecture autogérée des conventions temporaires d’occupation du domaine public portant sur deux terrains communaux. L’objet de ces conventions était la mise en place d’un pôle d’agriculture urbaine et civique, ainsi que l’exploitation d’un pôle « ressourcerie » et d’une plate-forme d’ « ecoconstruction ».
Les termes de ces deux conventions étant échus, la commune de Colombes a souhaité retrouver la possession de ses terrains … ce à quoi l’association occupante s’est opposée, en désaccord semble-t-il avec la commune s’agissant notamment de l’obligation de remise en état que celle-ci souhaitait lui imposer, et invoquant une supposée obligation conventionnelle à la charge de la commune de relocalisation du projet.
Afin de débloquer cette situation, la commune de Colombes a sollicité et obtenu du juge administratif de Cergy-Pontoise, par une procédure de référé dit « mesures utiles », une ordonnance par laquelle il a été enjoint à l’association de libérer les terrains occupés dans un délai de deux mois, sous astreinte une fois ce délai expiré (sur la possibilité de recourir à la procédure de référé « mesures utiles » pour l’expulsion d’un occupant sans titre du domaine public, cf. CE, 28 mai 2001, Société Codiam, n° 230692).
Prudemment, dans l’hypothèse où l’expulsion serait effectivement ordonnée, la commune de Colombes a également sollicité du juge que celui-ci l’autorise à requérir au concours de la force publique en application des dispositions du code des procédures civiles d’exécution, ce que le tribunal lui a accordé autorisant la commune de Colombes « à requérir le concours de la force publique pour faire procéder à l’évacuation du terrain et à procéder à l’enlèvement d’office des matériels, objets éventuellement laissés par l’association. »
Saisi d’un pourvoi par l’association occupante, le Conseil d’Etat censure partiellement cette ordonnance dans sa décision n° 396143 du 5 octobre 2016.
Sur l’urgence tout d’abord, le Conseil d’Etat retient que celle-ci était effectivement caractérisée par la nécessité d’engager des travaux de rénovation urbaine du quartier déclarés d’utilité publique. Or, la présence de l’association faisait obstacle à la mise en place d’un parking provisoire nécessaire dans le cadre de cette opération.
Le Conseil d’Etat conclut ensuite à l’absence de contestation sérieuse à la mesure d’expulsion sollicitée, après avoir constaté qu’aucune stipulation dans l’accord passé avec la commune de Colombes ne permettait à l’association de continuer à occuper les lieux ou à exiger la relocalisation du projet.
Ces deux conditions étant réunies, le Conseil d’Etat confirme l’expulsion de l’association, occupante sans titre du domaine public communal.
Toutefois, le principal enseignement de cet arrêt réside ailleurs, et sera sans nul doute très utile aux autorités communales concernées : le Conseil d’Etat rappelle avec force qu’une commune est tout simplement irrecevable à demander au juge l’autorisation de requérir le concours de la force publique, lorsqu’elle souhaite faire exécuter une décision de justice.
Le Conseil d’Etat considère en effet dans sa décision « qu’il n’entre pas dans l’office du juge administratif d’autoriser la commune à demander à l’Etat, sur le fondement des dispositions du code des procédures civiles d’exécution, le concours de la force publique pour l’exécution de la présente décision ; que les conclusions correspondantes de la commune sont, par suite, irrecevables »
Ce faisant, rien de nouveau cependant.
Le « privilège du préalable » est en effet reconnu à l’administration depuis plus d’un siècle, principe selon lequel cette dernière ne peut pas demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre elle-même (cf. CE, 30 mai 1913, Préfet Eure, Rec. CE 1913 ; pour une application plus récente du principe, CE 24 février 2016, 395194)
Il est vrai que la décision d’expulsion d’occupants sans titre du domaine public – tout comme la destruction d’ouvrages irrégulièrement implantés sur ce dernier – est en principe fautive lorsqu’elle est prise d’office par une commune, et engage dès lors sa responsabilité, sauf situation de péril imminent ou prévue par la loi (cf. CE, 20 juin 1980, n° 04592 04872 15025).
Mais une fois l’expulsion régulièrement ordonnée par le juge, le Conseil d’Etat rappelle qu’une commune dispose des compétences suffisantes pour assurer seule son exécution, en requérant le cas échéant le concours de la force publique, conformément aux dispositions du code des procédures civiles d’exécution et en respectant en tout état de cause les garanties prévues par ce dernier.
Rien de nouveau donc, mais cette décision est sans conteste la bienvenue dans le contexte actuel, où les communes hésitent souvent à mettre en œuvre directement les pouvoirs dont elles sont investies, préférant tenter d’obtenir l’aval du juge avant de prendre des décisions aux apparences autoritaires ou sensiblement exposées à la contestation contentieuse par un administré.
On constate ainsi, dans la pratique, que les juges sont de plus en plus régulièrement saisis de requêtes introduites par des communes inquiètes, qui tentent de se voir judiciairement autorisées à mettre en œuvre leurs pouvoirs de police : à titre d’exemple, pour l’adoption et la mise en œuvre des mesures de coercition nécessaires au respect d’un arrêté interruptif de travaux, alors que le maire est pleinement investi de ce pouvoir par le code de l’urbanisme (Cf. article L. 480-2 du code de l’urbanisme), ou encore, pour procéder d’office à l’évacuation de déchets abandonnés en terrain privé (Cf. article L. 541-3 du code de l’environnement) …
Cette tendance, qui prive souvent d’une grande partie de son utilité l’action administrative, nourrit inutilement le contentieux administratif et judiciaire, et allonge les délais d’instruction et de procédure, est indéniablement préjudiciable au pouvoir communal.
A noter d’ailleurs que dans la présente affaire, en première instance, le juge administratif lui-même s’est prêté à la demande de la commune de Colombes, en autorisant expressément cette dernière dans son ordonnance à requérir le concours de la force publique, alors qu’elle n’en avait nul besoin pour l’exécution d’une décision de justice exécutoire.
En rappelant ce principe de manière particulièrement claire, le Conseil d’Etat tente vraisemblablement de freiner ce glissement progressif vers la judiciarisation et la déresponsabilisation de l’action administrative au niveau local.