Dans une décision du 24 février 2023, le Conseil d’Etat s’est positionné en faveur des intérêts privés face aux atteintes excessives que l’entrée en vigueur immédiate d’un nouveau décret pouvait entraîner.
Il est question ici du décret du 5 octobre 2022 qui prévoit que « les publicités lumineuses sont éteintes entre 1 heure et 6 heures, à l’exception de celles installées sur l’emprise des aéroports, et de celles supportées par le mobilier urbain affecté aux services de transport et durant les heures de fonctionnement desdits services, à condition, pour ce qui concerne les publicités numériques, qu’elles soient à images fixes ».
Le décret est entré en vigueur immédiatement sauf pour « les publicités lumineuses supportées par le mobilier urbain. » pour lesquelles l’entrée en vigueur est repoussé au 1er juin 2023 d’après l’article 4 de ce même décret.
Le pouvoir règlementaire a ainsi estimé que concernant la plupart des dispositifs de publicité et d’enseigne lumineuses, l’intérêt public qui sous-tend cette obligation d’extinction imposait une entrée en vigueur dans les règles de droit commun, c’est-à-dire le lendemain de la publication du décret.
Le syndicat national de la publicité extérieure (SNPE), requérant dans cette affaire, estime que l’entrée en vigueur immédiate de ce décret allait à l’encontre des dispositions de l’article L.221-5 du code des relations entre le public et l’administration qui prévoient : « L’autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue […] d’édicter des mesures transitoires […] lorsque l’application immédiate d’une nouvelle réglementation est impossible ou qu’elle entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause[…] »
A l’occasion d’un référé suspension, la Haute juridiction avait d’abord considéré dans une ordonnance du 26 octobre 2022 que l’application immédiate n’était pas « matériellement impossible » et que les poursuites pénales engagées en cas de non-conformité à la nouvelle règlementation prévoyaient une procédure de mise en demeure et que cela constituait en somme un délai supplémentaire pour se mettre en conformité.
Au cours du jugement de fond, le requérant soutient que :
« Les dispositions ont méconnu le principe de sécurité juridique en ce qu’elles sont immédiatement applicables et ne ménagent pas de régime transitoire pour permettre aux professionnels d’intervenir sur les dispositifs d’éclairage des publicités lumineuses dont le fonctionnement n’est pas pilotable à distance. »
Et cette fois ci, le Conseil d’Etat annule partiellement l’article 4 du décret du 5 octobre 2022 en considérant qu’effectivement :
« Il (le pouvoir règlementaire) n’a pas différé l’obligation d’extinction nocturne pour les publicités lumineuses autres que celles supportées par le mobilier urbain et dont le fonctionnement ou l’éclairage n’est pas pilotable à distance ».
Comme précisé par le requérant lui-même, l’annulation porte uniquement sur les dispositifs de publicités non pilotables à distance qui ne permettait pas aux opérateurs de procéder aux modifications nécessaires en une seule nuit.
Le conseil d’Etat a donc annulé partiellement l’article 4 du décret du 5 octobre 2022 pour des raisons de sécurité juridique.
Toutefois, le Conseil d’Etat souligne que :
« Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que la généralisation de l’obligation d’extinction nocturne répond à l’intérêt général qui s’attache à la protection de l’environnement et du cadre de vie ainsi qu’aux efforts d’économies d’énergie et de lutte contre le gaspillage énergétique, alors qu’à la date du décret attaqué les perspectives en matière d’approvisionnement énergétique et de tensions sur le réseau électrique durant l’hiver impliquaient de prendre des mesures rapides pour faire face aux difficultés anticipées. »
En somme, la Haute juridiction considère que :
« L’article 4 du décret attaqué est illégal en tant qu’il n’a pas différé d’un mois l’application de l’obligation d’extinction nocturne aux publicités lumineuses autres que celles supportées par du mobilier urbain dont le fonctionnement ou l’éclairage n’est pas pilotable à distance. »
Le juge administratif tranche donc sur le fait qu’un délai d’un mois est suffisant pour permettre aux opérateurs de s’adapter à la nouvelle règlementation.
Finalement, le Conseil d’Etat opère une conciliation complexe entre intérêts publics et intérêts privés à travers l’application de cette nouvelle règlementation.