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Marchés publics

Notation du critère prix sur la base d’un « chantier masqué » tiré au sort

Par Aude MARTIN3 février 2017Pas de commentaires

Le « chantier masqué », appelé aussi « commande fictive », est une pratique qui se répand dans le monde de la commande publique, principalement dans les marchés à prix unitaires.

Cette pratique consiste à recalculer l’offre sur la base d’un chantier dont les caractéristiques n’ont pas été communiquées. Elle constitue ainsi, non pas un critère ou un sous-critère, mais une simple méthode de notation du critère prix.

La « commande fictive » a été validée à plusieurs reprises par les tribunaux administratifs.

D’après ces jurisprudences, le pouvoir adjudicateur peut décider de mettre en place un détail quantitatif estimatif (DQE) masqué qui permettra de noter une partie ou la totalité du critère prix.

Ce DQE est un document par lequel l’acheteur public établit une sélection de prestations représentatives de l’objet du marché auxquelles sont affectés les prix unitaires proposés par les candidats dans leurs offres. Multipliant les prix unitaires proposés par le nombre d’interventions envisagées à l’occasion d’un chantier fictif, la personne publique simule et compare le prix des offres.

Certains candidats évincés ont tenté d’invoquer le manque de transparence. Ils considéraient en effet que le DQE masqué consistait en un sous-critère d’attribution du marché et devait de ce fait, compte tenu de son impact sur la sélection des offres, être rendu public.

Les juridictions de première instance se sont cependant montrées favorables à la mise en œuvre d’une telle pratique (TA MARSEILLE, 8 juin 2010, n° 1003386 ; TA TOULON, 10 janvier 2012, n° 1103376 ; TA TOULON, 20 février 2015, ord. n° 1500311).

Elles posent toutefois des jalons pour garantir l’égalité de traitement entre les candidats.

Les prestations et fournitures retenues pour le chiffrage du chantier masqué doivent correspondre à l’objet du marché. Son contenu ne doit pas conduire à surévaluer certains matériaux et, ce faisant, soit dénaturer le critère du prix, soit avantager un des candidats.

La preuve de l’objectivité de la procédure doit également être constituée avec soin. Le juge vérifie en effet que le contenu du chantier masqué n’a pas été élaboré après la remise des offres mais en début de procédure.

En revanche, les candidats n’ont pas à être informés des prestations et fournitures qui seront retenues pour le chantier masqué. Cela aurait pour effet de priver ce sous-critère de son intérêt. L’important est que tous les participants soient placés sur un pied d’égalité. L’acheteur peut, par exemple, informer l’ensemble des candidats des quantités utilisées lors de l’exécution du précédent marché. Le titulaire sortant ne peut alors pas être avantagé par sa connaissance du marché

Les sages du Palais-Royal sont venus confirmés cette nouvelle pratique en indiquant qu’il s’agissait d’une « simple méthode de notation des offres » (CE, 16 novembre 2016, n°401660). Libre de définir les méthodes de notation des offres et sans que cela ne constitue une atteinte au principe de transparence, l’acheteur n’a donc pas obligation d’informer préalablement les candidats de sa mise en œuvre.

Plus encore,  il est tout à fait possible à l’acheteur, comme le fait la Ville de Marseille en l’espèce, d’élaborer plusieurs DQE et de procéder au tirage au sort de l’un d’eux avant ouverture des plis.

En effet, dans cette affaire, la Ville de Marseille avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour l’attribution d’un marché public de travaux ayant pour objet l’exploitation et le maintien de ses installations d’éclairage public.

Les candidats devaient soumettre un bordereau de prix unitaires composé de quatre postes distincts.

Pour deux des postes mentionnés, le règlement de consultation prévoyait que la note attribuée sur le critère du prix serait fondée sur l’application au bordereau de prix unitaires (BPU) d’un DQE non publié et non communiqué aux candidats.

A partir du BPU complété par lui, chaque candidat voyait ses chantiers masqués reconstitués par l’administration.

L’administration retenait cependant pour la notation du critère prix qu’un seul DQE, tiré au sort par le représentant du pouvoir adjudicateur, au moment de l’ouverture des plis.

Mécontent du mystère entourant cette pratique, un candidat évincé a saisi le juge du Tribunal Administratif de MARSEILLE en référé précontractuel afin de faire annuler la procédure de passation du marché.

Accueillant favorablement sa demande, l’ordonnance du 5 juillet 2016 fit l’objet d’un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’Etat, annulant l’ordonnance et statuant au fond, valide pour la première fois la méthode du chantier masqué et vient même étendre cette pratique.

Ainsi, l’acheteur peut mettre au point plusieurs chantiers masqués pour une même consultation et décider d’en tirer un au sort, avant l’ouverture des plis à la triple condition que :

  • les simulations s’appliquent de la même façon à tous les candidats ;
  • elles correspondent à l’objet du marché ;
  • le choix de leur contenu n’ait pas pour effet de privilégier un aspect particulier de cet objet conduisant à dénaturer le critère du prix.

Cet arrêt de principe s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle de la Haute Juridiction.

Le Conseil d’Etat a en effet déjà eu l’occasion de valider le recours à une simulation pour procéder à l’appréciation du critère prix consistant en une simple méthode de notation du critère, les candidats n’ayant pas à être informés au préalable de la méthode de notation des critères (CE, 2 août 2011, Syndicat Mixte de la Vallée de l’Orge Aval, n° 348711).

La consécration de cette pratique par le Conseil d’Etat n’est donc pas étonnante.

Ces jurisprudences s’inscrivent ainsi dans la volonté de lutter contre les ententes et contre la stratégie de certaines entreprises, fixant des prix bas sur certains postes, et des prix élevés sur d’autres.

En recourant à cette technique du « chantier masqué », les entreprises sont à nouveau obligées de proposer des prix concurrentiels et équilibrés sur chacun des postes proposés.

La mise en concurrence, principe essentiel du droit des marchés, retrouve donc toute son efficacité.

Par conséquent, il est souhaitable de voir cette pratique prospérer…

Les schémas repris ci-dessous permettent de connaitre les étapes obligatoires à respecter pour que cette pratique soit jugée légale par le juge administratif.

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