2 apports :
Le transfert d’une autorisation ou d’une convention d’occupation du domaine public à un nouveau bénéficiaire est possible si le gestionnaire de ce domaine donne son accord écrit.
L’appréciation de l’urgence à prononcer l’expulsion de l’occupant sans titre.
I / Par un arrêt de principe en date du 18 septembre 2015 dont les termes sont épurés, le Conseil d’Etat a retenu : « qu’il ne peut y avoir transfert d’une autorisation ou d’une convention d’occupation du domaine public à un nouveau bénéficiaire que si le gestionnaire de ce domaine a donné son accord écrit. »
Dans l’espèce particulière qui a donné lieu à l’arrêt du 18 septembre 2015 présentement commenté, la société occupant le domaine, en l’occurrence un hangar et des locaux à usage de bureau dans une zone de fret de l’aéroport Félix Eboué de Cayenne, était en négociation avec le gestionnaire, la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), pour la signature d’une nouvelle convention. Un projet de convention avait été transmis à la société sans être signé.
La CCI ne s’était, par ailleurs, pas formellement opposée à l’occupation du domaine par la société durant les négociations et avait émis des factures en rétribution de l’occupation.
Le Conseil d’Etat retient cependant que de telles circonstances n’établissent pas que la société puisse être considérée comme bénéficiaire d’une autorisation d’occupation du domaine public et ce dans la lignée de sa décision prise quelque mois auparavant le 19 juin 2015 rappelant qu’il ne peut exister d’autorisation tacite d’occupation du domaine public.
(cf. Conseil d’Etat 19 juin 2015 n°369558 dont le considérant de principe est le suivant : Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public ; qu’eu égard aux exigences qui découlent tant de l’affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l’existence de relations contractuelles en autorisant l’occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l’autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales ; qu’en conséquence, une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit)
Le Conseil d’Etat relève ensuite que la reprise d’activité par la société occupante de l’activité d’une précédente société, qui a bénéficié d’une convention d’occupation du domaine public, n’a pu emporter transfert de cette convention, en l’absence d’accord écrit du gestionnaire du domaine public.
Le Conseil d’Etat avait déjà en des termes moins explicites indiqué que n’était pas exclue la possibilité de transférer une autorisation domaniale par l’intermédiaire du gestionnaire du domaine public à la condition que les clauses de l’autorisation le permettent. (Cf. CE 6 octobre 1997, Mme Virgili, N°172904).
Dans son arrêt du 18 septembre 2015, le Conseil d’Etat reconnaît désormais clairement et sans ambiguïté la possibilité de transférer une autorisation ou une convention d’occupation du domaine public, à la condition que le gestionnaire du domaine donne son accord écrit.
J-M PATOR, commentateur à l’AJDA précise que ce faisant, la haute juridiction tranche une question controversée. (Cf. AJDA 2015 p 1719)
Le principe affirmé par le Conseil d’Etat dans un arrêt MUNOZ du 10 mai 1989 était l’interdiction du transfert en ces termes : il n’appartient pas à l’administration de donner au titulaire d’une autorisation d’occupation de public maritime laquelle, est en raison de la nature du domaine public, strictement personnelle et révocable, l’autorisation de transférer cette autorisation (cf. Conseil d’Etat 10 mai 1989 n° 73146).
Il existe cependant de nombreuses exceptions jurisprudentielles et législatives à ce principe d’incessibilité des titres domaniaux : notamment la possibilité de transférer une autorisation liée à une autorisation commerciale, le cas des concessionnaires d’emplacement dans les marchés d’intérêt national (cf. Réponse ministérielle ; question écrite n°40573 JO AN du 29 avril 1991 page 1755), la possibilité de cession volontaire de droits réels concédés sur le domaine public (Cf. Article L. 2122-7 alinéa 1er et R 2122– 9 CG3P prévoyant un agrément préalable du pétitionnaire).
Le Conseil d’Etat vient dans son considérant de principe donc traduire une réalité pratique et reconnaître la possibilité de transférer une autorisation conventionnelle ou unilatérale d’occuper le domaine public.
Cette possibilité est cependant soumise à l’autorisation écrite du gestionnaire.
La question qui demeure ouverte de savoir si cet agrément peut être donné a priori dans l’autorisation initiale. Une telle possibilité n’a pas été exclue dans l’arrêt précité du 6 octobre 1997. (Cf. CE 6 octobre 1997, Mme Virgili, N°172904).
Elle permettrait si elle était acceptée de renforcer la dimension patrimoniale de l’autorisation administrative d’occupation du domaine public sur lequel peut désormais être exploité un fonds de commerce depuis la loi du 18 juin 2014 dite Pinel créant l’article L 2124-32-1 du CGPPP.
Une autre interrogation suscitée est celle de l’absence de réponse du gestionnaire en cas de demande d’autorisation de transfert. A priori, à suivre la lettre du considérant de principe du Conseil d’Etat, le transfert doit faire l’objet d’une autorisation écrite expresse, le silence ne pouvant alors valoir acceptation contrairement à la règle de l’article 21-1 de la loi du 12 avril 2000 modifiée par la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens).
II / L’arrêt du 18 septembre 2015 du Conseil d’Etat vient également préciser la notion d’urgence au sens de l’article L521-3 du code de justice administrative.
En conséquence de l’absence d’accord écrit constaté sur le transfert de la convention d’occupation du domaine public, le Conseil d’Etat retient que la société occupante bien que sa présence et son exploitation ont été tolérées pendant plusieurs années, est sans droit, ni titre sur les locaux en cause.
La demande de la CCI, gestionnaire du domaine avait été présentée au visa des dispositions de l’article L. 521-3 du code de de justice administrative dans le cadre d’un référé dit mesure utile aux fins d’obtenir l’expulsion de la société.
Les dispositions de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative permettent en cas d’urgence sur simple requête qui est recevable, même en l’absence de décision administrative préalable, au juge des référés d’ordonner toute mesure utile.
Le domaine de prédilection de cette procédure est notamment l’expulsion des occupants sans titre du domaine, le caractère d’urgence étant traditionnellement retenue plus libéralement qu’en matière de référé-suspension.
En effet, sur le caractère d’urgence, le Conseil d’Etat exerce le seul contrôle de la dénaturation des faits (Cf. Conseil d’Etat 17 janvier 1996 SARL jardin des Pyrénées cité sous CJA édition le Moniteur).
Il a pu retenir par exemple, que la nécessité de procéder à la réorganisation d’une propriété communale suffit à justifier du caractère d’urgence (cf. Conseil d’Etat 22 octobre 2010 n° 335051).
Dans l’arrêt présentement commenté, le Conseil d’Etat paraît resserrer son contrôle au titre de l’appréciation de l’urgence en indiquant « La seule perte de recettes budgétaires alléguée et l’impossibilité qu’un autre occupant puisse s’installer dans ces locaux, alors qu’il n’est fait état d’aucun projet particulier en ce sens, ne suffisent pas à caractériser l’urgence requise pour justifier l’intervention d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées par le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative».
Il en résulte que désormais comme en matière de référé suspension (article L 521-1 du Code de justice administrative) l’urgence ne saurait être présumée et procède d’une appréciation concrète des circonstances particulières de chaque espèce.
Le gestionnaire du domaine ne peut se contenter pour justifier de l’urgence de la nécessité de recouvrer de l’usage de son domaine mais doit justifier d’un projet particulier affecté à ce dernier.
Il doit être relevé que dans la présente espèce, le Conseil d’Etat a, en outre, vérifié que l’occupation n’était pas de nature à compromettre la sécurité des occupants de l’aéroport, la société occupante étant en possession d’une licence « pilote » en cours de validité.
La demande aux fins d’expulsion de la Société PREST’AIR, bien qu’occupante sans droit ni titre, présentée par la CCI, a, en conséquence, été rejetée.