C’est la première décision qui se prononce sur l’application de la nouvelle définition de l’intérêt à agir contre les permis de construire, d’aménager ou de démolir donnée par l’ordonnance du 18 juillet 2013 [1]. Dans un contexte de multiplication des contentieux notamment en matière d’urbanisme et de succession des réformes dont la Loi ALUR est la dernière principale manifestation, l’ordonnance du 18 juillet 2013 et le Décret du 1er octobre 2013 [2] ont apporté des changement au cadre législatif inspiré par le souci d’une meilleure sécurisation des autorisations d’urbanisme. Le but clairement affiché : permettre leur mise en œuvre rapide et la réalisation de logements supplémentaires.
L’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme est ainsi venu préciser la notion d’intérêt à agir. Certes, la jurisprudence administrative avait déjà défini l’intérêt à agir qui se définissait très largement par le critère du voisinage composé d’un faisceau d’indices faisant varier la recevabilité du recours en fonction de la distance avec le projet, de son importance et de la nature des constructions envisagées.
L’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme était ainsi aisément reconnu facilitant les oppositions aux projets de construction.
L’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme est dès lors venu limiter et préciser l’intérêt à agir des personnes autre que l’Etat, les Collectivités territoriales et les Associations à l’encontre d’un permis.
Une personne n’est plus recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L261-15 du Code de la construction et de l’habitation.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 10 juin 2015 apporte un éclairage sur cette nouvelle disposition et expose dans un Considérant de principe les implications des dispositions du Code de l’urbanisme précitées pour le requérant, pour le défendeur mais aussi au regard du contrôle du Juge.
Dans cette affaire, les requérants contestaient la légalité d’un permis de construire une station de conversion électrique dont le terrain d’assiette était situé à environ 700 mètres de leur maison d’habitation excipant de la proximité géographique, de la co-visibilité et affirmant également que le projet était susceptible de leur occasionner des nuisances sonores.
Le Conseil d’Etat précise en premier lieu qu’il résulte des dispositions de l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme :
« qu’il appartient, en particulier à tout requérant qui saisit le Juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir, ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. »
Sur ce premier principe, le Conseil d’Etat a relevé que :
« les circonstances invoquées par les requérants, que leurs habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants« ,
Ainsi la seule proximité géographique n’est pas suffisante en l’espèce pour caractériser l’intérêt à agir des requérants.
Cependant, ceux-ci avaient également fait valoir :
« qu’ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu’ils contestent, à des nuisances sonores en se prévalant des nuisances qu’ils subissent en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives« .
Ainsi, les requérants, outre la proximité géographique et la co-visibilité, invoquaient également les conséquences de la construction projetée sur leurs conditions de jouissance et d’utilisation du bien qu’ils occupent, liées à l’existence de nuisances sonores.
Dès lors, et selon le Conseil d’Etat, au regard de ces allégations étayant leur intérêt à agir, il appartient ensuite aux défendeurs, c’est-à-dire la collectivité locale auteur de l’acte et le bénéficiaire de l’autorisation d’apporter « tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité« .
Ainsi, face à l’affirmation d’un intérêt à agir, il appartient aux parties défenderesses, l’auteur du permis de construire et le pétitionnaire de contredire les allégations du demandeur et les éléments justificatifs apportés quant à la démonstration de son intérêt à agir.
Or, le Conseil d’Etat relève qu’en défense le bénéficiaire du permis de construire se bornait à « affirmer qu’en l’espèce, le recours à un type de construction et à une technologie différente, permettra d’éviter la survenance de telles nuisances« .
Face à cette contestation de l’intérêt à agir, le Juge doit « former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. »
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève que dans ces conditions « la construction de la station de conversion électrique autorisée par la décision du Préfet du Pas-de-Calais du 14 août 2014 doit en l’état de l’instruction être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des maisons d’habitation des requérants. »
Ainsi, le débat que l’on croyait recentré sur un intérêt à agir censé être plus difficile à établir pour les requérants depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme a encore de beaux jours devant lui et nécessitera surtout de la part des collectivités et du bénéficiaire de l’autorisation, en défense, d’apporter des éléments précis visant à démontrer dans un quasi renversement de la charge de la preuve, que le projet ne sera pas susceptible de gêner de manière substantielle les conditions d’occupation de l’habitation.
Index:
[1] Ordonnance n°2013-638 relative au contentieux de l’urbanisme JO 19 juillet 2013 [2] Décret n°2013-879 du 1er octobre 2013Cet article n’engage que son auteur.