Poursuivant son action en vue d’accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l’urbanisme pour lequel il a, notamment, été habilité à légiférer par voie d’ordonnance conformément à l’article 1er de la Loi du 1er juillet 2013 (Loi n° 2013-569 du 1er juillet 2013 habilitant le gouvernement à adopter des mesures de nature législatives pour accélérer les projets de constructions), le Gouvernement vient de publier un Décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme (publié au Journal Officiel n° 0229 du 2 octobre 2013 page 16365).
Ce décret s’inscrit dans une succession de textes publiés depuis le 18 juillet 2013 qui visent, d’une part, à accélérer les projets de construction et favoriser une production rapide de logement et d’autre part, à accélérer le contentieux de l’urbanisme pour prévenir les contestations dilatoires ou abusives.
C’est ainsi que par une première Ordonnance n° 2013-638 en date du 18 juillet 2013, entrée en vigueur le 19 août 2013, ont été insérées au Code de l’Urbanisme diverses dispositions tendant :
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A définir plus précisément les contours de l’intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire, d’un permis de démolir ou d’un permis d’aménager (articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du Code de l’Urbanisme).
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A soumettre à une obligation d’enregistrement dans les conditions prévues par le Code Général des Impôts les transactions et accord par lesquels une personne ayant demandé au Juge Administratif l’annulation d’un permis de construire, de démolir, ou d’aménager s’engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature (article L. 600-8 du Code de l’Urbanisme).
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A la possibilité pour le Juge Administratif, saisi d’un recours en annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de statuer, sur demande du bénéficiaire du permis, sur l’allocation de dommages et intérêts mis à la charge de l’auteur du recours lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent au bénéficiaire du permis un préjudice excessif (article L. 600-7 du Code de l’Urbanisme).
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A la possibilité pour le Juge Administratif, dans le cadre de son office, de limiter la portée de sa décision d’annulation à la seule partie du projet qui serait affectée par un vice et qui pourrait être régularisée par un permis modificatif, voire même de soulever d’office, la possibilité de régulariser un vice entrainant l’illégalité de l’acte par un permis modificatif, après avoir invité les parties à présenter leurs observations (articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’Urbanisme).
C’est donc dans ce contexte qu’intervient le Décret du 1er octobre 2013 qui vient ajouter une nouvelle pierre à l’édifice de simplification du droit et d’accélération des procédures contentieuses en matière de permis de construire, de démolir ou d’aménager.
Des dispositions applicables à compter du 1er décembre 2013
Si les dispositions du Décret ne sont pas d’application immédiate, leur entrée en vigueur demeure se fait dans un bref délai : à compter du 1er décembre 2013.
En effet, l’article 3 du Décret – qui comporte en tout quatre articles – dispose que l’article 1er entrera en vigueur le 1er jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal Officiel de la République Française. Dès lors que cette publication est intervenue le 2 octobre 2013, l’entrée en vigueur se fera le 1er décembre 2013.
Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article 2 du décret dispose, quant à lui, expressément que : Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018.
Une simplification du Droit profitable au justiciable
L’Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme a complété le Livre VI du Code de l’Urbanisme qui comporte, de longue date, des dispositions relatives au contentieux de l’urbanisme, codifiées sous les articles L. 600-1 et suivants, la partie règlementaire du Code de l’Urbanisme comportant elle-même un Livre VI pour les « dispositions relatives au contentieux de l’urbanisme et les dispositions diverses » (articles R. 600-1 et suivants).
Dans un souci de simplification du Droit, l’article 2 du décret dispose dans son 1° que l’article R. 411-7 du Code de Justice Administrative est abrogé.
Cet article R. 411-7 qui s’insérait, en effet, dans la partie règlementaire du Code de Justice Administrative relative à la présentation de la requête devant la juridiction, disposait que :
La présentation des requêtes dirigées contre un document d’urbanisme ou une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol est régie par les dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme ci-après reproduit :
» Art.R. 600-1.-En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un certificat d’urbanisme, d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant un certificat d’urbanisme, une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou un permis de construire, d’aménager ou de démolir. L’auteur d’un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d’irrecevabilité du recours contentieux qu’il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif.
La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours.
La notification du recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation est réputée accomplie à la date d’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. »
Cet article faisait donc « double emploi » avec les dispositions contenues dans le Code de l’Urbanisme qu’il se bornait à reproduire, et entrainait même une confusion puisque par défaut de « toilettage » du texte, le Code de Justice Administrative faisait référence aux requêtes dirigées « contre un document d’urbanisme ou une décision relative à l’occupation et à l’utilisation du sol » alors que l’article R. 600-1 du Code de l’Urbanisme auquel il était renvoyé et qui avait été modifié à l’occasion de la réforme des autorisation d’urbanisme par le Décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 avait, quant à lui, réduit le champ d’application de l’obligation de notification aux seuls « recours contentieux à l’encontre d’un certificat d’urbanisme, d’une décision de non opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir », excluant ainsi les documents d’urbanisme.
C’est donc bien par souci de simplifier le droit et d’éviter des renvois, d’ailleurs imparfaits, entre dispositions similaires de plusieurs Codes, que le Gouvernement abroge l’article R. 411-7 du Code de Justice Administrative pour que, désormais, les dispositions spéciales relatives au contentieux de l’urbanisme ne se trouvent plus que dans le seul Code de l’Urbanisme, simplifiant ainsi l’approche du Droit pour le justiciable.
Une mesure destinées à accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l’urbanisme
La critique communément faite au contentieux de l’urbanisme est la lenteur des délais dans lesquels interviennent les décisions de Justice, dans un contentieux particulièrement technique.
En effet, une des critiques majeures des bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme était la possibilité pour tout requérant à l’annulation d’une autorisation d’urbanisme de pouvoir, dans le cadre du droit commun du recours pour excès de pouvoir devant le Juge administratif, soulever, à tout moment, de nouveaux moyens d’illégalité, et cela jusqu’à la clôture de l’instruction ou à quelques jours seulement de l’audience de l’affaire.
Certains dénonçaient cette possibilité en la qualifiant de véritable pratique à caractère abusif dès lors qu’il suffisait de former un recours en invoquant quelques moyens – parfois sommaires, parfois vagues – d’illégalité pour seulement bloquer le projet de construction et le démarrage de l’opération, puis de soulever, au tout dernier moment, devant la Juridiction le moyen le plus pertinent de nature à justifier l’annulation de l’autorisation de construire, afin d’empêcher toute mesure de prévention par la régularisation du vice au moyen notamment d’un permis modificatif.
L’article 1er du Décret insère au Code de l’Urbanisme un nouvel article R. 600-4 qui vise à, si ce n’est mettre un terme, mieux encadrer la procédure pour éviter les dérives de la pratique qui était ainsi dénoncée.
En effet, ce nouvel article R. 600-4 dispose que :
Saisi d’une demande motivée en ce sens, le Juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués.
Il s’agit d’une modification importante de l’approche des délais de recours et de leur éventuelle prorogation puisque jusqu’à présent, la saisine du Juge Administratif permettait, sous réserve des principes issus de la Jurisprudence Intercopie du Conseil d’Etat relative à la cause juridique des moyens, de pouvoir soulever de nouveaux moyens, sans limitation dans le temps puisque la saisine du Juge avait pour effet de geler définitivement l’expiration des délais de recours.
Désormais, sur simple demande motivée d’une des parties, le Juge peut limiter le délai dans lequel les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens.
On relèvera, tout d’abord, que cette disposition de portée générale peut s’appliquer aussi bien en première instance qu’en appel.
Surtout, il importe de noter que l’appréciation de la définition de la date et donc du délai imparti au requérant pour présenter ces moyens relève du pouvoir souverain du Juge. Ceci est indiscutablement de nature à soulever de nombreuses questions auxquelles la Jurisprudence va devoir être amenée à répondre dans le cadre d’une construction par touche successive.
De même, le Juge Administratif va devoir être amené à se prononcer sur le contenu même de la « demande motivée en ce sens », qui devra être formulée auprès de lui pour la fixation de la date à laquelle il ne sera plus possible d’invoquer de nouveau moyen. En effet, quels seront les critères particuliers à mettre en avant pour justifier que le Juge limite le délai dans lequel les parties peuvent invoquer de nouveaux arguments :
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S’agit-il de considérations liées à la situation économique ou financière du constructeur et donc à l’existence d’un « préjudice excessif » ?
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S’agit-il de considérations liées à l’intérêt qu’il y a à réaliser l’opération de construction et donc à obtenir plus rapidement un jugement (mais on sait en même temps que le recours contre le permis de construire n’est pas suspensif et n’empêche donc pas la réalisation de la construction …) ?
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S’agit-il de considérations liées à la manière dont le requérant a introduit sa requête, soit en disposant d’un délai suffisant pour examiner la légalité de l’autorisation puisqu’il a pu obtenir de longue date la communication du dossier ou a formé au préalable un recours gracieux de nature à proroger les délais, soit en tenant compte du fait que les délais dont il a disposé pour formaliser son recours ne lui ont pas permis d’appréhender globalement l’ensemble des questions juridiques soulevées par le projet de construction ?
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S’agit-il de considérations liées à la nature et aux caractéristiques de l’opération projetée à travers l’autorisation administrative, ce qui suppose donc que le Juge porte ab initio une appréciation sur la difficulté juridique de la contestation du projet ?
Force est de constater que sur ces différents points, le texte dont la brièveté doit soulignée n’apporte pas de réponse, laissant manifestement au Juge une large marge d’appréciation pour prendre une décision qui ne pourra guère être contestée.
Une mesure d’accélération du règlement des litiges dans certaines parties du territoire national
L’article 2-2° du Décret du 1er octobre 2013 insère, enfin, un dispositif tendant à supprimer le double degré de Juridiction pour les recours contre les permis de construire, de démolir ou d’aménager dans certaines parties du territoire national.
Il s’agit, en effet, de la suppression de la voie de recours en appel devant la Cour Administrative d’Appel, les Tribunaux administratifs statuant alors en premier et dernier ressort (article R. 811-1-1 du Code de Justice Administrative).
Ceci signifie que la seule voie de recours à l’encontre d’un jugement de Tribunal Administratif dans les cas visés sera celle du pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Ceci est indiscutablement de nature à réduire les délais de la procédure.
Cette disposition est limitée dans le temps puisqu’elle s’applique au seul recours introduit entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018. Elle a donc un caractère temporaire et provisoire.
Toutefois, la suppression de la voie de l’appel ne concerne que les Communes mentionnées à l’article 232 du Code Général des Impôts et son décret d’application, c’est-à-dire :
Les Communes appartenant à une zone d’urbanisation contenue de plus de 50.000 habitants ou existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logement, entrainant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix l’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social. (article 232-I du Code Général des Impôts).
La liste des Communes concernées est fixée par l’annexe au Décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 et concerne les agglomérations des Villes suivantes :
– AJACCIO
– ANNECY
– ARLES
– BASTIA
– BAYONNE
– BEAUVAIS
– BORDEAUX
– DRAGUIGNAN
– FREJUS
– GENEVE – ANNEMASSE
– GRENOBLE
– LA ROCHELLE
– LA TESTE-DE-BUCH – ARCHACON
– LILLE
– LYON
– MARSEILLE – AIX-EN-PROVENCE
– MEAUX
– MENTON – MONACO
– MONTPELLIER
– NANTES
– NICE
– PARIS
– SAINT-NAZAIRE
– SETE
– STRASBOURG
– THONON-LES-BAINS
– TOULON
– TOULOUSE
Enfin, cette suppression de la voie de l’appel ne concerne que les recours contre les autorisations suivantes :
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Les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ;
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Les permis d’aménager un lotissement (sans condition particulière liée à la nature et à la destination de l’opération en vue de laquelle le permis d’aménager est accordé).
Il ressort clairement de ce dispositif qu’il s’agit de favoriser la création de logements dans les secteurs ou la pénurie est la plus visible.
Si, dans un contexte économique difficile, la poursuite de cet objectif peut apparaître salutaire, il n’empêche qu’elle interroge sur la cohérence et la pertinence de l’organisation de notre système de Justice Administrative puisque en effet, ne seront plus examinées que par un seul Juge statuant en premier et dernier ressort, les projets, souvent denses et impactant, se développant dans les secteurs où les enjeux urbains sont les plus importants, où les montages juridiques sont les plus innovants, avec parfois une pluralités de maître d’ouvrage publics et privés, des interdépendances entre règles d’urbanisme et règles de droit privé, dans des secteurs où la règlementation d’urbanisme est souvent complexe et délicate à interpréter …
… tandis que le permis de construire de la petite maison individuelle située en dehors du périmètre d’une grande métropole urbaine, dans une petite commune à caractère rural, … pourra bénéficier du « luxe » de voir sa légalité examinée par un double degré de juridiction par le Tribunal Administratif, puis par la Cour Administrative d’Appel …
Drôle de perception de l’utilité que plusieurs Juge puissent successivement porter un regard sur le fond d’un dossier d’urbanisme.
A moins qu’il ne s’agisse des prémices d’un mouvement général de suppression pure et simple du double degré de Juridiction en matière de permis de construire, de démolir ou d’aménager (N’oublions pas en effet que le contentieux de déclarations préalables de travaux est déjà examiné en premier et dernier ressort par les Tribunaux Administratifs, en raison justement de la faible importance des travaux qu’elles concernent).
Etrange conclusion qui ne peut qu’inciter le justiciable à se faire assister, le plus en amont possible du projet de construction et du dossier, par un expert juridique qui sera à même de le conseiller et de l’assister utilement dans ce nouveau procès administratif dans lequel les délais seront comptés et les voies de recours limitées.
Frédéric PONCIN, Avocat Associé CDMF-AVOCATS AFFAIRES PUBLIQUES