Référence : Conseil constitutionnel, n°2023-852
Une affaire d’urbanisme réglementaire se présente devant le Conseil Constitutionnel, saisi par 60 députés d’une loi destinée à mettre en conformité le PLUi du Bas-Chablais (Haute-Savoie) avec un projet autoroutier n’ayant pas été intégré au document d’urbanisme.
La loi comporte un article unique, ainsi rédigé :
« Les dispositions de l’article 6 du décret du 24 décembre 2019 déclarant d’utilité publique les travaux de création d’une liaison à 2 × 2 voies entre Machilly et Thonon‑les‑Bains, dans le département de la Haute‑Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes de Machilly, Bons‑en‑Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon‑les‑Bains prévalent sur les dispositions contraires du plan local d’urbanisme intercommunal du Bas‑Chablais approuvé par le conseil communautaire de Thonon agglomération le 25 février 2020 ».
Le décret déclarant d’utilité publique les travaux emportait la mise en compatibilité des PLU des 10 communes concernées par ce tronçon autoroutier d’une vingtaine de kilomètres.
Mais la Communauté de communes du Bas-Chablais, réunissant 6 de ces 10 communes, avait prescrit en 2015 l’élaboration d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), et l’a approuvé le 25 février 2020, soit postérieurement à la déclaration d’utilité publique.
Le PLUi n’intègre pas le projet autoroutier : il ne comporte pas d’emplacement réservé correspondant au tracé, ni aucune disposition réglementaire permettant les travaux nécessaires dans les zones agricoles ou naturelles.
Deux sénateurs de Haute-Savoie proposent alors de passer par une loi pour mettre en conformité a posteriori le PLUi avec la DUP, et éviter la mise en œuvre des procédures normales d’évolution du PLUi – en l’espèce une révision, en considération des risques juridiques qui pèseraient de nouveau sur le projet.
La rapporteure du projet au Sénat exposant par ailleurs que l’ensemble des collectivités territoriales concernées est unanimement favorable au projet, dont le caractère d’intérêt général est souligné.
Il est enfin rappelé, dans ce rapport au Sénat, l’urgence de mettre en œuvre le projet, après qu’un appel d’offre réalisé en 2022 doit permettre de choisir un concessionnaire.
Ainsi le vote de la loi est présenté comme le meilleur procédé destiné à remédier rapidement à une « omission » du PLUi.
Cependant, les opposants au projet demeurent nombreux, et le procédé de régularisation législative ne fait pas l’unanimité. C’est ainsi le Conseil Constitutionnel est saisi de plusieurs questions :
- Le bilan entre l’intérêt général attaché à l’adoption de cette loi et l’atteinte au principe de séparation des pouvoirs ;
- L’atteinte à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, étant précisé qu’en l’absence de révision du PLUi pour mise en conformité avec la DUP, les députés soutiennent que la loi vise à faire échec à une évaluation environnementale ;
- La méconnaissance de la Charte de l’Environnement, le projet autoroutier validé ayant pour effet d’aggraver la pollution de l’air ;
- La méconnaissance de l’article 72 de la Constitution portant le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Cette saisine du 21 juin 2023, portant sur une loi destinée à accélérer la réalisation d’un projet autoroutier, pourra être mise en perspective avec le projet de loi, adopté par l’Assemblée le 27 juin 2023, visant à adapter l’objectif « zéro artificialisation nette », dont l’une des dispositions essentielles est de sortir de la comptabilisation des terres artificialisées les projets structurants d’envergure nationale, parmi lesquels figurent les nouvelles autoroutes…