La question du coût du recouvrement des amendes forfaitaires émises par les agents de police municipale alimente le contentieux Etat/ Collectivités publiques.
LA RESPONSABILITÉ DE L’ETAT ENGAGÉE VIS À VIS DES COMMUNES
Après les péripéties de la recherche de l’engagement de la responsabilité de l’Etat pour avoir illégalement imposée aux Communes de gérer passeports et Cartes d’identité, contentieux désormais quasiment éteint depuis l’entrée en vigueur de l’article 103 de la Loi de finances rectificative pour 2008, c’est désormais la question du coût du recouvrement des amendes forfaitaires émises par les agents de police municipale qui alimente le contentieux Etat/ Collectivités publiques.
Et les collectivités n’hésitent pas à multiplier les procédures devant le Juge du référé provision à l’instar de la Commune de VERSAILLES.
Aux termes des dispositions de l’article L. 1611-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, « aucune dépense à la charge de l’Etat ou d’un établissement public à caractère national ne peut être imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales ou à leur groupement qu’en vertu de la Loi ».
Si le pouvoir règlementaire est compétent pour confier et définir les missions confiées aux autorités communales et leurs agents pour exercer des missions au nom de l’Etat, l’article L. 1611-1 précité du CGCT dispose que les éventuelles dépenses qui en résultent ne peuvent rester à la charge de la collectivité décentralisée qu’à la stricte condition que la Loi l’ait prévu (1).
L’objet de cette disposition est bien d’empêcher que le pouvoir exécutif fasse peser sur les collectivités territoriales, par voie règlementaire, voire et de manière plus détournée à l’aide de circulaires hiérarchiques, des charges indues incombant normalement à l’Etat sous forme notamment de coût de fonctionnement et de personnel (CE 5-01-2005, Commune de Versailles, RFDA 2005 714, note P. Cassia).
A l’occasion de la Loi du 15 avril 1999 relative aux polices municipales, le législateur a étendu les pouvoirs reconnus aux agents de police municipale pour constater les infractions au Code de la route.
Codifiée à l’article L. 2212-12-5 du CGCT mais aussi dans le Code de procédure pénale, cette compétence permet aux agents de police municipale de constater par procès-verbaux les contraventions aux dispositions du Code de la route punies des peines d’amende des quatre premières classes.
Cette nouvelle compétence en matière contraventionnelle dévolue aux agents de police municipale porte notamment sur des contraventions entrant dans le régime simplifié dit des « amendes forfaitaires » prévu par les articles 529 à 529-2 du Code de procédure pénale, instaurés la même année que l’entrée en vigueur de la Loi relative aux polices municipales.
L’article 529-1 dispose ainsi que « le montant de l’amende forfaitaire peut être acquitté soit entre les mains de l’agent verbalisateur au moment de la constatation de l’infraction, soit auprès du service indiqué dans l’avis de contravention dans les 45 jours qui suivent la constatation de l’infraction ou, si cet avis est ultérieurement envoyé à l’intéressé, dans les 45 jours qui suivent cet envoi ».
Cette possibilité de paiement de l’amende forfaitaire entre les mains de l’agent verbalisateur ne pourra trouver à s’appliquer réellement qu’à partir de 2002, le pouvoir règlementaire ayant en effet modifié le 29 mars 2002 l’arrêté du 29 juillet 1993 habilitant les Préfets à instituer ou à modifier des régies d’avances et de recettes de l’Etat auprès des services régionaux ou départementaux relevant du Ministère de l’Intérieur, et ce pour pallier l’impossibilité pour les agents de police municipale de pouvoir manier des deniers publics.
Les Préfets ont donc pu créer des régies de recettes auprès des services de police municipale pour percevoir le produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation, en application de la Loi du 15 avril 1999.
La Loi ne prévoyant ni ne définissant les modalités de prise en charge de ces coûts dans les régies de recettes auprès des services de police municipale, c’est une circulaire du Ministère de l’Intérieur qui a défini ces modalités, circulaire du 3 mai 2002 « relative à l’encaissement des amendes forfaitaires et des consignations émises par les agents de police municipale ».
La circulaire a prévu la création d’une régie d’Etat pour procéder à l’encaissement des recettes de l’Etat précitées, et la nomination d’un fonctionnaire territorial chef de la police municipale en qualité de régisseur d’Etat.
– Sur la légalité de la circulaire du 3 mai 2002 :
La circulaire prévoit que les Préfets nommeront le chef de la police municipale comme régisseur d’Etat. Dans le titre consacré au fonctionnement des régies, la circulaire prévoit la nomination d’un régisseur suppléant, la création de locaux sécurisés et notamment l’équipement d’une chambre forte ou d’un coffre-fort.
Elle prévoit que le Maire s’approvisionne en carnets de verbalisation auprès d’une imprimerie de son choix sur son propre budget. Il est enfin recommandé aux Communes qui mettront en place ce dispositif de se doter d’outils informatiques compatibles avec les systèmes déjà utilisés en la matière par le secrétariat de l’officier du Ministère Public.
Il s’avère que la circulaire du 3 mai 2002 a en réalité transféré la totalité de la gestion de la chaine de recouvrement des amendes forfaitaires, et pas seulement celles encaissées sur place par les agents municipaux.
Par un arrêt en date du 26 mars 2009, n° 07VE03261, la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES a consacré l’illégalité de la circulaire, considérant « que si les agents de police municipale sont ainsi chargés de constater par procès-verbaux les contraventions au Code de la route sur le territoire de la Commune et sous l’autorité du Maire et si, en application des articles 529-7 et 529-8 précités du Code de procédure pénale les contrevenants peuvent, lorsque les circonstances s’y prêtent, régler immédiatement le montant des amendes auprès des mains des agents verbalisateurs au moment de la constatation de l’infraction, ces dispositions ne font cependant pas supporter à la Commune la charge financière du recouvrement desdites amendes, qu’il s’agisse des charges de personnels ou des charges matérielles y afférentes ; que contrairement à ce que soutient le Ministre de l’Intérieur, le législateur, en modifiant l’article L. 2212-5 précité du Code Général des Collectivités Territoriales par la Loi du 15 avril 1999 susvisée relative aux polices municipales, n’a pas davantage adopté de dispositions ayant un tel objet ou un tel effet ; que dès lors et en l’absence de toute autre disposition législative en ce sens, le Ministre de l’Intérieur en adoptant le 3 mai 2002 une circulaire relative à l’encaissement des amendes forfaitaires et des consignations émises par les agents de police municipale mettant à la charge des Communes les frais exposés pour le fonctionnement d’une régie d’Etat, avec à sa tête un fonctionnaire territorial, chef de la police municipale, chargé de l’encaissement des amendes forfaitaires émises par la police municipale, précédemment à la charge de l’Etat, a édicté des dispositions qui étaient de la seule compétence du législateur ; que par suite, la Commune de VERSAILLES est fondée à soutenir que le Ministre de l’Intérieur a méconnu les dispositions de l’article L. 1611-11 du Code Général des Collectivités Territoriales, quelle que soit la probabilité que le législateur aurait lui-même adopté cette mesure si elle lui avait été soumise ».
Le raisonnement retenu par la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES dans le cadre des « amendes forfaitaires » est à rapprocher du raisonnement retenu par le Conseil d’Etat dans son avis du 6 avril 2007, Commune de POITIERS, rendu en matière de transfert de la gestion des passeports et cartes d’identité, la Haute Assemblée affirmant que « l’illégalité commise par le pouvoir règlementaire à avoir adopté une mesure que le législateur était seul compétent pour édicter est de nature à engager la responsabilité de l’Etat, quelle que soit la probabilité que le législateur aurait lui-même adopté cette mesure si elle lui avait été soumise ».
Cette circulaire illégale étant fautive, elle est, par conséquent, de nature à engager la responsabilité de l’Etat (cf. CE avis précité 6-04-2007, Commune de Poitiers, Lebon 700).
Dès lors, le principe de responsabilité apparaît effectivement établi.
– Sur le caractère non sérieusement contestable de la créance :
Il appartient au Juge du référé-provision de rechercher s’il y a quasi certitude quant au bien fondé de l’obligation, la probabilité de l’obligation non sérieusement contestable devant confiner à la certitude pour générer l’allocation d’une provision aux créanciers (conclusions de Monsieur BESLE sous l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de LYON, Commune de Villeurbanne : n° 06LY00783).
L’obligation juridique n’apparaîtra pas contestable, puisque la Commune a exercé des compétences qui lui ont été imposées dans des conditions illégales (cf. arrêt précité de la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES du 26-03-2009 : n° 07VE03261).
En réponse dans le cadre du contentieux « Commune de VERSAILLES », l’Etat avait multiplié les arguments en défense :
– invoquant que l’article L. 1611-11 du CGCT ne peut avoir pour conséquence d’écarter l’application de dispositions législatives existantes qui résultent de l’analyse juridique des pouvoirs de police du Maire dans la création des polices municipales. Il sera relevé que cet élément ne saurait permettre de considérer comme sérieusement contestable la créance d’une Commune :
En effet, et comme cela a déjà été consacré dans l’affaire Commune de Versailles du 5 janvier 2005, « l’article L. 1611-1 a pour conséquence la nécessité de recourir à la Loi pour faire évoluer les missions du Maire comme agent de l’Etat, sauf dans les cas ou ses missions ne sont pas de nature à entraîner des dépenses appréciables. En principe, la question échappe au domaine de la Loi, mais il en va autrement dès lors que les finances locales sont en cause ».
Or, dans cette affaire, comme dans le cadre du transfert de la gestion des demandes de cartes d’identité et de passeports, les finances locales sont en cause.
Il ne s’agit pas en l’espèce de la question de la répartition des compétences légales entre diverses autorités judiciaires comme l’a parfaitement relevé le Rapporteur public, Monsieur Frédéric BEAUFAŸS, sous l’arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES du 26 mars 2009, compétentes pour constater et sanctionner les infractions pénales, question qui n’est pas en cause en l’espèce puisque nous sommes en présence d’une compétence exclusive de l’Etat.
– Sur le fait que la circulaire du 3 mai 2002 ne serait pas à l’origine d’une nouvelle obligation mais accompagne l’application d’une disposition antérieure résultant du droit des finances publiques (décret sur la comptabilité publique de 1962) : une telle affirmation est également inopérante. En effet, ce n’est pas le décret sur la comptabilité publique de 1962 qui autorise la création par le Préfet d’une régie de recettes, mais l’arrêté du 29 juillet 1993 habilitant les Préfets à instituer ou modifier les régies d’avances et de recettes de l’Etat auprès des services régionaux ou départementaux relevant du Ministère de l’Intérieur.
Le pouvoir règlementaire a modifié le 29 mars 2002 cet arrêté du 29 juillet 1993 pour remédier à l’impossibilité pour les agents de police municipale de pouvoir manier des deniers publics, difficulté tenant d’une part à la règle de séparation des ordonnateurs et des comptables et, d’autre part, au fait qu’il s’agit de deniers de l’Etat.
Dans le cadre de la modification, les Préfets peuvent désormais créer des régies de recettes auprès des services de police municipale pour percevoir le produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation, en application de la Loi du 15 avril 1999.
Et c’est bien la circulaire du 3 mai 2002 qui est venue définir le cadre général de fonctionnement des régies de recettes pour l’encaissement des amendes forfaitaires émises par les agents de police municipale, et qui a décidé de faire peser son coût de fonctionnement sur les collectivités territoriales concernées.
– Sur le fait que les frais de fonctionnement et de création des régies résultent d’une décision facultative du Maire laissée à sa libre appréciation, celle de mettre en œuvre le pouvoir de verbalisation des infractions au Code de la route : là encore, cette allégation apparaît inopérante pour apprécier le caractère non sérieusement contestable de l’obligation.
Sur ce moyen articulé par le Ministre de l’Intérieur dans le cadre de l’affaire Commune de Versailles précitée, le Rapporteur public avait tenu à relever qu’un tel raisonnement n’apparaissait pas convaincant : « Nous ne sommes pas en présence d’une délégation de compétences facultative dans la mesure où l’Etat reste la seule autorité compétente en la matière. Il s’agit d’une participation de la Commune à une mission de service public de l’Etat vis-à-vis duquel elle se trouve en situation de dépendance hiérarchique. Il n’est par ailleurs pas évident d’admettre que cette participation serait purement facultative dès lors qu’une police municipale est créée notamment dans les zones de police étatisées car l’esprit de la loi est bien dans ce cas de faire participer les agents de police municipale à l’action de police judiciaire en matière de circulation routière. Au demeurant, sur le strict terrain règlementaire, le Préfet seul a le pouvoir de décider de la création de la régie de recettes et le Maire se trouve ici en situation de subordination […].
C’est dans ce sens qu’il convient notamment d’interpréter les dispositions de la circulaire du 3 mai 2002 lorsqu’elles précisent que « la mise en œuvre du pouvoir de verbalisation au Code la route relève de la seule compétence du Maire ».
Ce texte organise donc clairement une répartition des taches entre l’Etat et la Commune en matière de poursuite pénale.
D’un point de vue strictement légal, le libre choix, à supposer qu’il existe, s’exerce au niveau de la décision de la collectivité territoriale de participer ou non à l’action pénale et non au recouvrement des créances nées des amendes. En d’autres termes, l’alternative est celle de disposer ou non d’une police municipale qui participera à l’action pénale.
Les collectivités publiques n’ont dès lors d’autre choix, sauf à renoncer à la répression des infractions à la circulation sur leur territoire, que d’accepter les conditions posées par le représentant de l’Etat, au risque de perdre en grande partie leurs capacités à garantir l’exercice d’une mission de service public de l’Etat sur leur territoire.
Enfin, et en tout état de cause, comme le Rapporteur public l’avait souligné, « le caractère facultatif, à le supposer établi ce qui n’est absolument pas le cas, ne fait en aucun cas échec aux dispositions impératives et univoques de la Loi qui font obstacle à ce que toute dépense nouvelle à la charge de l’Etat soit imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales sans Loi. Toute autre interprétation viderait l’article L. 1611-1 du CGCT de tout effet utile ».
CQFD.
Dès lors, sur la base du raisonnement juridique retenu par la Cour administrative d’appel de VERSAILLES, l’obligation de l’Etat n’apparaît pas sérieusement contestable et il pourra être condamné par le Juge administratif y compris dans le cadre de procédure de référé provision à indemniser les Communes qui n’hésiteront pas à agir en justice… le temps d’une loi de finance rectificative vienne fermer les portes de ce nouveau contentieux indemnitaire comme cela a été le cas pour la gestion des cartes d’identité et des passeports des Communes!
Index:
(1) Cf. les conclusions particulièrement détaillées de Frédéric BEAUFAŸS, Rapporteur public, sous l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES du 26-03-2009, paru à l’AJDA du 3-08-2009, p. 1484 et s.
Sandrine Fiat,
Avocat à Grenoble