Depuis le célébrissime arrêt « Tropic » , tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif peut former devant le Juge du contrat un recours contestant la validité de ce contrat assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires.
INDEMNISATION DU CANDIDAT ÉVINCÉ: AVIS DU CONSEIL D’ETAT DU 11 MAI 2011
Depuis le célébrissime arrêt « Tropic » (1), tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif peut former devant le Juge du contrat un recours contestant la validité de ce contrat assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires.
Le contentieux des contrats publics a été révolutionné, les candidats évincés d’une procédure de mise en concurrence, c’est-à-dire des tiers, pouvant agir directement à l’encontre du contrat lui-même, bouleversant la jurisprudence ancienne et constante aux termes de laquelle les personnes qui ne sont pas partie à un contrat administratif ne pouvaient en demander l’annulation en Justice.
Il appartient alors au Juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il peut, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit prononcer la résiliation du contrat ou modifier certaines de ses clauses, soit décider de la poursuite de son exécution éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits du cocontractant, d’annuler totalement ou partiellement le cas échéant avec un effet différé le contrat.
Pour solliciter la résiliation ou l’annulation du contrat, le concurrent évincé dispose d’un délai de deux mois suivant l’accomplissement des formalités de publicité requises.
Il peut également présenter une demande d’indemnisation soit à titre accessoire ou complémentaire à son recours principal contre le contrat, soit en engageant un recours direct pour demander uniquement une indemnisation en raison de l’illégalité de la conclusion du contrat.
La question se posait de savoir dans quel délai les conclusions indemnitaires devaient être présentées : le délai de recours contre la validité du contrat, c’est-à-dire le délai de deux mois à compter des mesures de publicité, ou un délai distinct.
Dans son avis du 11 mai 2011 (2), le Conseil d’Etat précise que dans les deux cas, cette demande indemnitaire n’est pas soumise au délai de deux mois suivant l’accomplissement des mesures de publicité du contrat.
Cela revient à dire que le candidat évincé pourra former son recours indemnitaire à la date qui lui conviendra. Ainsi, le recours pourra être fait au cours de l’instance dite « Tropic » en annulation du contrat, ou dans le cadre d’un contentieux distinct.
Le seul délai butoir est celui de la prescription quadriennale. En droit commun, une demande d’indemnisation contre une personne publique est en effet limitée par la prescription quadriennale, la dette publique étant prescrite après l’écoulement d’un délai de quatre ans qui commence à courir à compter du 1er janvier de l’année qui suit la date de naissance du préjudice subi.
Ainsi, le candidat évincé pourra intenter à l’encontre de la collectivité dont il estimera qu’elle l’a irrégulièrement exclu de l’attribution du contrat public un recours « Tropic » en annulation ou en résiliation du contrat que la collectivité aura régularisé avec une entreprise concurrente, et ce dans le délai de deux mois de la mesure de publicité quant à l’avis d’attribution du marché, et il pourra, soit concomitamment dans le cadre de la procédure « Tropic » initiée, soit dans le cadre d’une procédure distincte, solliciter de la collectivité la réparation du préjudice qu’il prétend avoir subi.
Dans l’avis précité du 11 mai 2011, le Conseil d’Etat est également venu préciser que la recevabilité des conclusions indemnitaires, qu’elle soit présentée à titre accessoire ou complémentaire aux conclusions contestant la validité du contrat, est en revanche soumise, selon les modalités de droit commun, à l’intervention d’une décision préalable de l’administration de nature à lier le contentieux, le cas échéant en cours d’instance, sauf en matière de travaux publics.
En conséquence, le candidat évincé devra, en tout état de cause, lier le contentieux, c’est-à-dire saisir la collectivité publique d’une demande préalable tendant à l’indemnisation du préjudice qu’il prétend avoir subi sauf en matière de marchés de travaux publics. Cela signifie dès lors qu’il devra saisir par courrier recommandé avec accusé de réception la collectivité publique d’une demande chiffrée et motivée aux termes de laquelle il évaluera le montant du préjudice subi à raison de l’illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.
Reste à déterminer le montant de l’indemnité due au candidat née du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière d’une procédure de passation. Le principe du droit à l’indemnisation intégrale du manque à gagner est établi de longue date par la jurisprudence du Conseil d’Etat si le candidat avait une chance sérieuse de remporter le marché.
C’est ainsi que trois cas de figure sont susceptibles de se présenter : soit l’entreprise requérante n’avait aucune chance de remporter le marché et elle n’aura droit à aucune indemnisation et ce quand bien même la procédure de passation était irrégulière ; soit elle n’était pas dépourvue de toute chance et peut prétendre au remboursement des seuls frais engagés pour présenter son offre, soit elle avait une chance sérieuse d’être attributaire du marché et elle se voit alors indemnisée de l’intégralité de son manque à gagner.
Dans un arrêt récent du 8 février 2010 (3), le Conseil d’Etat a modifié les bases de calcul jusqu’alors retenues.
Pour évaluer le manque à gagner, le Juge se fondait en effet sur la marge brute moyenne (soit le chiffre d’affaires – le coût des matières premières) applicable dans le domaine d’activité considéré pour l’entreprise et des prestations similaires.
Dans l’arrêt précité Commune de La Rochelle, le Conseil d’Etat a substitué le bénéfice net (à savoir la marge brute dont on soustrait l’ensemble des charges afférentes à l’activité) qu’aurait procuré le marché à l’entreprise irrégulièrement évincée.
Cette solution est régulièrement réaffirmée par la jurisprudence administrative (4).
En conclusion, si le recours « Tropic » est soumis aux délais de jugement devant la juridiction administrative, il n’en demeure pas moins une procédure relativement intéressante pour obtenir l’indemnisation du préjudice subi, le formalisme requis étant particulièrement souple.
Index:
(1) Conseil d’Etat, 16-07-2007 : n° 291545.
(2) Conseil d’Etat, avis 11-05-2011 : n° 347002, Société Rebillon Schmit Prevot.
(3) Conseil d’Etat, 8-02-2010, Commune de La Rochelle : n° 314075.
(4) Cour Administrative d’Appel de LYON : n° 08LY01008 du 4-11-2010.