Par un arrêt rendu le 27 mai 2020 (Conseil d’Etat, 27 mai 2020, n°435982), le Conseil d’Etat a opéré un important revirement de jurisprudence en matière de marchés publics.
En effet, la haute juridiction administrative est venue juger que « la circonstance que l’offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire du contrat en litige. Tel est notamment le cas lorsqu’une offre peut être assimilée, par le juge des référés dans le cadre de son office, à une offre irrégulière en raison de son caractère anormalement bas ».
Ainsi, un candidat à un marché public ayant été évincé au motif que son offre était irrégulière peut valablement se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de la société attributaire pour contester l’attribution du marché devant le Juge Administratif dans le cadre d’un référé précontractuel.
En la matière et pour mémoire, il est de jurisprudence constante que le requérant doit démontrer une lésion de ses intérêts par les moyens qu’il invoque ou, en tout cas, que ces moyens sont susceptibles de le léser (Conseil d’Etat, 3 octobre 2008, n°305420, SMIRGEOMES).
Précédemment, sur la base de ce principe, le Conseil d’Etat considérait que le choix de l’offre d’un candidat irrégulièrement retenu est susceptible d’avoir lésé le candidat qui invoque ce manquement, à moins qu’il ne résulte de l’instruction que sa candidature devait elle-même être écartée, ou que l’offre qu’il présentait ne pouvait qu’être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable (Conseil d’Etat, 11 avril 2012, n° 354652).
Par ce récent arrêt du 27 mai 2020, le Conseil d’Etat a donc ouvert l’office du juge administratif à une nouvelle catégorie de requérants pouvant dorénavant invoquer l’irrégularité de l’offre de l’attributaire du marché public.
Cette jurisprudence était particulièrement attendue dans la mesure où il était difficile de comprendre pourquoi une offre irrégulière pouvait être retenue au détriment d’une autre offre fût-elle elle-même irrégulière.
Le Conseil d’Etat est ainsi venu s’aligner sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne qui considère que l’irrégularité de l’offre d’un candidat évincé ne le prive pas de la possibilité de se prévaloir du caractère irrégulier de l’offre retenue pour obtenir l’annulation de la procédure ou du contrat (CJUE, 5 avril 2016, Puligienica Facility Esco Spa, n°C-689/13).
Cet arrêt du 27 mai 2020 contribue ainsi à une harmonisation supplémentaire du droit français avec le droit européen en matière de commande publique – même si le droit national découle très largement du droit européen dans ce domaine -.
Une nouvelle catégorie de candidats jusqu’ici démunis, évincés à raison du caractère irrégulier de leur offre, pourront donc dorénavant saisir le juge des référés précontractuels pour se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de l’entreprise attributaire du marché.