Un projet d’équipement constituant tant sur le plan architectural que fonctionnel un seul ensemble immobilier doit-il faire l’objet de ce fait d’une seule demande de permis de construire ?
CONSEIL D’ETAT SECTION, 17-07-2009, COMMUNE DE GRENOBLE
Un projet d’équipement constituant tant sur le plan architectural que fonctionnel un seul ensemble immobilier doit-il faire l’objet de ce fait d’une seule demande de permis de construire ?
C’est la question à laquelle a dû répondre le Conseil d’Etat statuant au contentieux dans le cadre de l’examen du permis de construire délivré à la Communauté d’agglomération Grenoble Alpes Métropole pour la réalisation d’un stade susceptible d’accueillir 20.000 spectateurs situé sur le territoire de la Commune de GRENOBLE.
La Cour Administrative d’Appel de LYON avait en effet apporté une réponse positive à cette question, en censurant le permis litigieux en tant qu’il ne portait que sur le seul stade et non sur l’ensemble qu’il forme avec le parc de stationnement.
La juridiction administrative semblait dès lors consacrer le fait que l’ensemble immobilier indivisible devait, par principe, faire l’objet d’une seule et même demande de permis de construire.
La question des permis d’opérations complexes semblait tranchée : un permis de construire portant sur l’ensemble du projet, sinon rien !
Il est vrai que plusieurs décisions avaient consacré cette position :
– un arrêt du Conseil d’Etat du 10 octobre 2007, M. et Mme Demoures, par lequel la haute juridiction avait considéré qu’un ensemble de constructions indivisibles ne pouvait faire l’objet que d’un permis de construire unique, et qu’il en résultait qu’un permis de construire ne pouvait être délivré à une partie seulement d’un ensemble indivisible ;
– un autre arrêt du 25 septembre 1995 n° 120438, Giron, jugeant que deux corps de bâtiment séparés mais communicant entre eux constitue une construction unique au sens des dispositions de l’article L. 421-1 du Code de l’Urbanisme, qui ne nécessitait en tout état de cause pas la délivrance de deux permis de construire ;
– un arrêt du 17 décembre 2003 n° 242282, Bontemps, considérant que les travaux portant sur l’édification du mur de soutènement et de la terrasse entourant le bassin d’une piscine n’étaient pas dissociables de l’implantation de celle-ci, et ne pouvaient donc faire l’objet d’une décision distincte de celle portant sur sa réalisation.
L’arrêt rendu le 17 juillet 2009 prend le contrepied de ces décisions et pourrait mettre un point d’arrêt aux débats agitant la doctrine sur la question des permis d’opérations complexes : le Conseil d’Etat considère en effet qu’en l’espèce, « le stade et le parc de stationnement sous-jacent constituaient un seul ensemble immobilier ayant fait l’objet d’une conception architecturale globale, comme l’a souverainement jugé la cour ; qu’en raison de l’ampleur et de la complexité du projet, les deux éléments de cet ensemble immobilier, ayant chacun une vocation fonctionnelle autonome, étaient susceptibles de donner lieu à des permis de construire distincts ; que, dans ces conditions, si les juges d’appel ont à bon droit jugé qu’il appartenait à l’autorité administrative de porter, au regard des règles d’urbanisme applicables, une appréciation globale sur les deux demandes de permis de construire présentées, respectivement, par la COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION GRENOBLE ALPES METROPOLE et par la COMMUNE DE GRENOBLE, ils ont commis une erreur de droit en estimant que le permis autorisant la construction du stade était illégal du seul fait qu’il ne portait pas sur la totalité de l’ensemble immobilier, sans rechercher si cette circonstance avait fait obstacle à ce que le maire de Grenoble ait vérifié, dans le cadre d’une appréciation globale portant sur la totalité du projet, que la délivrance de deux permis permettait de garantir le respect des règles et intérêts généraux qu’aurait assuré la délivrance d’un permis unique, alors au surplus qu’en l’espèce les deux permis avaient fait l’objet d’une instruction commune et avaient à l’origine été délivrés le même jour ».
Cette position rendue sur les conclusions conformes de Madame BURGUBURU vient consacrer une pratique qui cherche à concilier, comme n’a pas manqué de le souligner le Rapporteur public, les exigences de la légalité et le principe de réalité dans sa complexité et sa diversité.
Une solution inverse aurait en effet semblé exagérément rigide et peu adaptée aux grands projets d’urbanisme.
Il convient en effet de rappeler que les dispositions de l’article L. 421-1 du Code de l’Urbanisme, dans leur rédaction applicable en l’espèce, prévoient que toute construction doit faire l’objet préalable d’un permis de construire, les dispositions de l’article L. 421-3 précisant que le permis ne peut être accordé que si les constructions et les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et règlementaires concernant l’implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur architecture, leurs dimensions, leur assainissement et l’aménagement de leurs abords.
L’administration doit ainsi vérifier que le projet qui lui est soumis ne méconnaît aucune règle d’urbanisme, auquel cas, et sauf exceptions prévues dans le cadre d’une procédure de sursis à statuer ou encore en application d’une législation spécifique, elle ne peut refuser d’accorder l’autorisation demandée.
Dès lors que l’administration ne peut se prononcer qu’en vue du dossier présenté par le pétitionnaire, celui-ci doit donc lui offrir une connaissance complète du projet indépendamment de toute autre information dont l’administration pourrait avoir par ailleurs connaissance.
Ce principe d’indivisibilité conduisait dès lors le Juge administratif à considérer qu’en ensemble immobilier unique devait faire l’objet d’une demande unique, et qu’à défaut, l’autorisation devait être refusée, l’autorité n’étant pas à même de prendre partie sur la conformité de l’ensemble du projet aux règles d’urbanisme.
La question qui demeurait en suspens était celle de savoir si la seule circonstance que les travaux projetés s’inscrivent dans un même ensemble architectural ou conceptuel impliquait nécessairement le dépôt d’une demande de permis de construire unique dans l’hypothèse où les constructions n’étaient pas physiquement ou légalement nécessaires l’une à l’autre.
Exiger un tel permis de construire unique impose une contrainte inadaptée à la conduite d’opérations complexe impliquant sur un même immeuble une division en volume d’éléments ayant des vocations diverses telles que logements publics ou privés, bureaux, commerces, stationnement, services publics,…
Annuler un permis de construire pour le seul motif que les éléments d’un ensemble immobilier unique font l’objet de permis distincts emporterait un excès de formalisme et de rigidité dans des opérations dont la légalité était pourtant assurée par l’ensemble des permis délivrés de la même manière qu’elle l’aurait été par un permis unique.
Dès lors, dans le cas d’espèce du stade des Alpes de GRENOBLE, le Conseil d’Etat a, suivant les conclusions de son Rapporteur public, considéré que la Cour avait commis une erreur de droit en annulant le permis au seul motif qu’il ne portait pas sur la totalité de l’ensemble immobilier que constituait bien l’opération « stade + parking », le Rapporteur public soulignant que si l’ampleur de l’opération impliquait effectivement que l’administration reste en mesure de porter une appréciation globale sur l’opération projetée et d’apprécier ainsi la légalité du permis attaqué au regard des règles d’urbanisme auxquelles l’opération d’ensemble a été soumise, la Cour ne pouvait toutefois en déduire l’annulation du permissans rechercher dans la limite des moyens dont elle était saisie si elle avait eu une incidence sur le respect de ces règles par le permis attaqué.
Bien évidemment, une telle position n’est pas sans risque, le principe de l’exigence d’une autorisation unique reposant sur l’indivisibilité de certaines clauses du permis, nécessaires à sa légalité.
Comme n’a pas manqué de le souligner Madame BURGUBURU, « permettre, certes dans un nombre de cas restreints, des permis limités à des éléments d’une construction d’ensemble, nécessairement partiels, porte en soi le risque d’autoriser une construction méconnaissant au final les règles d’urbanisme alors même qu’elle serait conforme à son propre permis ».
Plusieurs solutions sont cependant envisageables pour assurer à l’administration une connaissance aussi complète que possible de l’opération envisagée : un dépôt simultané de l’ensemble des permis lorsqu’il est possible pourrait être envisagé, un dossier chapeau présentant l’opération pourrait être annexé à chaque permis distinct ainsi situé au sein de l’ensemble, une annexe portant copie des demandes à suivre qui seront déposées successivement selon un calendrier défini et un calendrier d’obtention des autorisations nécessaires, permettrait à l’administration d’avoir une connaissance globale de l’intégralité du projet et de garantir le respect des règles d’urbanisme applicables pour ces opérations complexes.
En conclusion, si cette décision est particulièrement intéressante, son application devrait rester cantonnée aux opérations dites « opérations complexes » dont il convient cependant de relever qu’elle facilitera la mise en œuvre, l’objectif étant, toujours, de permettre la vérification du respect des règles d’urbanisme applicables au projet.
Sandrine Fiat,
Avocat à Grenoble